Palmer dans le Rouge

Au décès de René Pétillon, le créateur de Jack Palmer, le détective le plus maladroit et attachant du neuvième art, sa famille découvre 75 planches crayonnées d’un scénario que l’auteur n’avait jamais terminé. La fin,sous forme de notes, explorait différentes possibilités de conclusion. Rapidement, l’idée de confier la réalisation de l’album à un auteur complet s’impose comme une évidence. René Pétillon admirant le travail de Manu Larcenet, c’est donc à celui-ci qu’est confiée la tâche de concrétiser l’œuvre.Larcenet reprenant du Pétillon, qu’est-ce qui pourrait mal se passer ? Spoiler : rien.

C’est la panique au domaine Grolo-Laglotte, au bord du Médoc. Déjà que les affaires sont loin d’être florissantes, mais en plus, la fille unique des propriétaires, Bénédicte, vient de disparaître alors qu’elle était sur le point de se marier avec le riche américain John, issu lui aussi d’une famille viticole. L’union est le seul moyen de sauver l’entreprise familiale de la faillite. Ange Léoni, cousin de la mère de Bénédicte, et justement en visite, prend alors contact avec Jack Palmer, le détective qui l’avait secouru quelques temps auparavant.

Un Larcenet pétillant !

Du Pétillon passé à la moulinette Larcenet, le projet était alléchant. Et force est de constater que le pari est plus que réussi. Sans jamais trahir l’âme de la série originelle, Manu Larcenet apporte un côté plus moderne. S’il respecte l’aspect hors du temps de Jack Palmer et sa légendaire maladresse, l’auteur apporte sa touche personnelle, notamment avec les gags de la sonnerie de téléphone portable, ou cette scène anodine des passant qui parcourent le décor, les yeux rivés sur leur écran. Côté émotion, la dernière réplique causera un petit sourire ému à plus d’un lecteur.

Mais que les fans de Pétillon se rassurent. L’intrigue est du Jack Palmer classique digne d’un grand cru. Avec une mystérieuse disparition, de l’action, du mystère, l’enquête du détective est semée d’embûches, la plupart du temps causées par la malchance ou les bévues du héros. René Pétillon a su créer un personnage attachant, drôle, parfois incompétent mais qui finit toujours par tomber sur ses pieds (ou ceux du voisin), la version de Manu Larcenet est à la hauteur de son modèle.

In vino veritas, mais pas trop

Tout au long des planches de l’album, un constat s’impose : Jack Palmer pourrait clairement être une création de Manu Larcenet, même au niveau du dessin. Pétillon étant autodidacte, son style graphique a pas mal évolué, parfois même changé, au fil des années et des aventures de Palmer ; quinze albums entre 1974 et 2013. Il n’est donc pas totalement choquant de découvrir le détective avec le style Larcenet qui puise dans son trait « gros nez » qui a ravi les lecteurs, entre autres, des Aventures Rocambolesques ou plus récemment Thérapie de Groupe.

Ses dessins caricaturaux font mouche, tout autant que sa mise en scène, basée sur un sens du rythme impeccable : les gags, toujours efficaces, sont souvent suivis par un moment où tout s’arrête dans un sentiment de gêne qui vient encore relever le comique. Larcenet a choisi un gaufrier sur trois lignes, lui permettant de faire de grandes cases dans lesquelles ses personnages, d’apparences simplistes, peuvent exprimer leurs émotions. Certaines vignettes n’ont pas de contours, formant comme des marqueurs d’un changement de chapitre. Assurant lui-même les couleurs, l’auteur soigne ses ambiances avec, généralement, une teinte dominante développé sous plusieurs nuances.

En dehors des fans les plus obtus du Jack Palmer de René Pétillon, cette nouvelle aventure du maladroit détective devrait ravir aussi bien les amateurs de Pétillon que ceux de Manu Larcenet. Un excellent cru avec un sérieux goût de reviens-y ! À noter que la première intégrale, sur cinq prévues, des aventures de Jack Palmer sort parallèlement à Palmer dans le Rouge, l’occasion de découvrir ou redécouvrir certains tomes aujourd’hui introuvables en albums.

Une chronique écrite par : Cédric « Sedh » Sicard