Soà : Le silence de mes cris
Après avoir publié de nombreux dessins dans la presse sous le pseudo de Gégé, signé des illustrations dans Picsou et Mickey magazine et abordé avec justesse la Seconde Guerre mondiale dans Les Souliers rouges, Gérard Cousseau plonge dans l’Histoire des îles bretonnes du début du vingtième siècle avec Soà, le destin d’une jeune femme résiliente et engagée, éditée aux éditions Bamboo/ Grand Angle.

©Bamboo/Grand Angle – Soà -Le silence de mes cris– Gérard Cousseau et Shinja – 2025
Sur une petite île bretonne, à la fin du XIXème siècle, le curé remarque l’intelligence exceptionnelle de Soà (diminutif de Soazig), une fillette sourde et muette. Il convainc facilement sa mère, un peu plus difficilement son père de l’envoyer étudier sur le continent. Commence alors pour la jeune fille un long cheminement semé d’embûches et de larmes qui lui fera pourtant soulever des montagnes, mais aussi découvrir et surmonter le traumatisme d’enfance qui lui a fait perdre une partie de ses sens.

©Bamboo/Grand Angle – Soà -Le silence de mes cris– Gérard Cousseau et Shinja – 2025
Le silence de ses cris
En novembre 1886 au large de l’île Soline, un goémonier meurt en mer sous les yeux de son fils Yann. Déjà orphelin de mère, il est épaulé par François et sa famille, dont la petite Soa devenue sourde et muette à ses deux ans. Pourtant prédestinée à récolter le bezin (ou goémon) comme les générations d’îliens avant elle, le curé et instituteur repérera son intelligence. Elle partira sur le continent pour suivre des études et apprendre la langue des signes et ne reviendra qu’occasionnellement dans sa famille. Ce départ marquera le début d’une aventure qui va lui permettre de sortir de son isolement, de briller dans ses études, de comprendre et enfin de vaincre le traumatisme qui la rendue sourde et muette.

©Bamboo/Grand Angle – Soà -Le silence de mes cris– Gérard Cousseau et Shinja – 2025
Le scénariste mêle dans cet album de nombreuses thématiques. Breton d’origine, il rend tout d’abord hommage aux îliens du Finistère et notamment aux goémoniers qui gagnaient difficilement leur vie grâce à la pêche et à la récolte des algues marines sur les rochers battus par les courants et les vagues. La première moitié de l’album se concentre sur l’enfance et d’adolescence de Soà, une héroïne attachante par sa douceur et sa candeur. Lorsqu’elle comprend que son handicap est lié à des abus sexuels subits dans sa toute petite enfance, elle parvient à sortir du silence dans lequel elle s’était emmurée, comme le sous-entend le très bel oxymore qui sous-titre l’album.

©Bamboo/Grand Angle – Soà -Le silence de mes cris– Gérard Cousseau et Shinja – 2025
A partir de ce moment du récit, tout s’accélère. Les ellipses temporelles se succèdent et le rythme se précipite pour couvrir une période allant de la fin du XIXème siècle à la fin de la Seconde Guerre mondiale en une vingtaine de pages. Devenue médecin, Soà défendra les droits des femmes et deviendra suffragette. Elle s’engagera comme infirmière pendant la Première Guerre mondiale ce qui lui coûtera une jambe. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle aidera des familles juives à fuir vers l’Angleterre avant d’être arrêtée et envoyée dans un camp. Ces évènements qui s’enchaînent un peu trop vite, laissent une sensation d’exagération et auraient mérité plus de développement.

©Bamboo/Grand Angle – Soà -Le silence de mes cris– Gérard Cousseau et Shinja – 2025
Une palette de couleurs magnifiques
Présentée comme une biographie, la bande dessinée ne se contente pas de raconter l’histoire fictive de Soà. Elle s’appuie sur le double handicap de la jeune fille pour le retranscrire en image. Le personnage du grand-père, spectateur omniprésent mais taiseux, hante la BD comme un fantôme. Tout suggère qu’il a un rôle dans le traumatisme de Soà bien avant de le savoir.
Au début de l’album, les dialogues sont rares, les cases souvent muettes et Shinja, le dessinateur qui signe ici sa première BD, joue avec les silences de son héroïne pour en renforcer son expressivité. A l’image de la couverture qui dresse le portrait d’une Soà à l’air mélancolique, visage baissé, son trait est fin, rond et délicat. Les paysages bretons fourmillent de détails et le dessin, comme le récit, rendent parfaitement compte de l’attachement des habitants à leur terre malgré la dureté des conditions de vie.

©Bamboo/Grand Angle – Soà -Le silence de mes cris– Gérard Cousseau et Shinja – 2025
Le découpage est efficace. Les cases s’étendent et s’étirent ou se resserrent et se collent en fonction des émotions de Soà. La palette de couleur, très travaillée, magnifie les paysages qui prennent des allures de fresques détaillées à l’aquarelle. Dans Soà, les nuits ne sont pas noires mais d’un rose-bleuté, la campagne est d’un vert lumineux et la mer vert émeraude.
Hommage à toutes celles qui se sont battues pour améliorer la condition féminine, Soà est avant tout un récit sur la résilience et l’émancipation.Il évoque aussi les violences intrafamiliales, les liens familiaux, l’amour ou encore le handicap avec un très beau graphisme épuré et lumineux. Même si le récit aurait mérité quelques pages supplémentaires pour développer la vie de Soà adulte, cet album séduira les amateurs d’histoires (presque) vraies. Un dossier de 5 pages intitulé Soà, des îles et des hommes, permet en fin d’ouvrage, de discerner la part de réel et de fiction.
Une chronique écrite par : Emmanuelle DESSEIGNE
Informations sur l’album :
- Scénario : Gérard Cousseau
- Dessin : Shinja
- Couleurs : Shinja
- Éditeur : Bamboo/ Grand Angle
- Date de sortie : Le 26 février 2025
- Pagination : 73 pages en couleurs
