Kaël le Sans-Totem, volume 1

L’écrivain Olivier Gay continue sa prolifique collaboration* avec l’éditeur Drakoo dans une nouvelle série « youngadult », Kaël le Sans-Totem. Fantasy, aventures et humour sont au rendez-vous dans ce premier tome dessiné par le trop rare Kan J, dont plus rien n’était paru en France depuis 2013. L’illustrateur nous revient en 2025 avec deux nouveaux titres, puisque parait également, chez Albin Michel, Souricia et le Géant de la Clairière.

Kaël en a marre d’être un enfant, d’être faible et de devoir toujours compter sur son amie Lana pour le sortir des coups de ses brutaux camarades. Heureusement pour lui, dans quelques jours aura lieu la cérémonie qui déterminera quel sera son animal totem, ainsi que celui des jeunes de son âge. Sera-t-il un loup combattant, un castor bâtisseur, une antilope exploratrice ? Hélas, le jeune garçon ne sera rien de tout ça puisque aucun animal ne se manifeste, faisant de Kaël un moins que rien, condamné aux basses besognes. A moins qu’un être plus mystérieux et dangereux ne se cache en lui…

Totem, un peu, beaucoup, à la folie

Tout lecteur ayant apprécié les précédentes publications d’Olivier Gay chez Drakoo adorera ce premier tome tant il en possède tous les savoureux ingrédients, à commencer par ses personnages. On y retrouve, en effet, un adolescent fragile et plein de doutes, malmené aussi bien par la vie que par ses congénères. Kaël est un héros qui devra se dépasser mais qui sera tout autant spectateur qu’acteur de sa destinée, d’autres semblant avoir déjà choisi la route qu’il devrait suivre. A ses côtés, Lana prend le rôle de l’habituelle amie intrépide, forte et courageuse, toujours là pour sauver Kaël. Le reste du casting n’est pas plus original mais toujours aussi plaisant, notamment la déjanté Saline et sa bande, le brutal Vask, ou encore l’effacé Serval qui pourrait en avoir plus sous le coude que ce premier album ne le laisse présager.

Le scénariste aime ses personnages, même s’il les malmène allègrement, et ça se sent. Aucun n’est ridicule, aucun n’est totalement manichéen, mais tous sont parfaits dans leurs rôles, du méchant intrigant aux brutes pas très malines. Tout ce petit monde évolue dans un contexte fantasy assez classique, là aussi, mais basé sur un concept fort : les totems. Si le peuple de Kaël se voit attribué un animal, son royaume est encadré par deux autres nations, beaucoup plus violentes, où les habitants sont associés à des anges ou des démons. Et, bien sûr, la guerre menace entre toutes ces contrées. En fin d’album, un petit cahier, le guide de l’apprenti, en dévoile davantage sur l’univers de la série, donnant envie d’en savoir plus sur l’intrigue, le monde et les personnages.

C’est dans les vieux pots…

Au niveau de la narration, c’est du Olivier Gay pur jus là aussi, avec une intro efficace qui pose des enjeux simples qui seront vite balayés par des rebondissements judicieux, complexifiant l’intrigue et rendant le futur de Kaël bien incertain. Si la trame générale est assez classique, l’univers assez particulier du titre permet au scénariste quelques petites péripéties aux touches plus originales, notamment via le non-manichéisme du conflit à venir, et ce petit royaume coincé entre deux puissances redoutables. L’humour est également une composante régulière de l’œuvre de l’auteur et on le retrouve bien évidemment dans Kaël le Sans-Totem. Gaguesque, absurde, de temps en temps potache, l’aspect comique de ce premier tome fait régulièrement mouche, sachant également ne pas être envahissant ni dédramatiser les enjeux, mais étant plutôt concentré sur les réactions des personnages.

Cet univers d’aventures, de fantasy et d’humour est parfaitement mis en images par Kan J. Son talent pour la fantasy n’était plus à prouver depuis le diptyque Blackwood et la trilogie Haven, tous deux publiés chez Soleil. Dans Kaël le Sans-Totem, tout comme dans Souricia et le Géant de la Clairière, il délaisse un style relativement réaliste pour s’adapter, avec réussite, au public « young adult » visé par Drakoo. Personnages charismatiques, expressifs et attachants, décors immersifs et riches, mise en scène dynamique, notamment dans les moments d’action, effets de lumière travaillés, les planches de Kan-J sont un réel plaisir qui ne révolutionnent pas le genre mais sont toujours justes et dans le ton du récit. Les couleurs de Yoann Guillé, déjà à l’œuvre sur Métamorphes et Toutes pour Un, mais aussi collaborateur de Joël Jurion sur Klaw et Masques, sont également très agréables, notamment lors des manifestations de l’hôte de Kaël.

La plus grande qualité de ce premier tome n’est certes pas son originalité mais son efficacité. Même si le concept des totems apporte beaucoup à l’intrigue, celle-ci est relativement classique. Toutefois, avec ses rebondissements, parfois surprenants, et ses personnages tous plus attachants les uns que les autres, Olivier Gay parvient, une nouvelle fois, à embarquer le lecteur dans son univers de fantasy plein d‘humour et d’aventures humaines. Une fois n’est pas coutume chez Drakoo, l’album n’annonce pas le nombre d’épisodes prévus. Si le succès est au rendez-vous, l’univers de Kaël pourrait se développer de façon passionnante tant ce premier tome est prometteur.

* Après Démonistes (2 tomes, 2021-2022, avec GeyseR), les Gardiennes d’Aether(2021, avec Jonathan Aucomte, renommée en 2023 Toute pour un dans un album reprenant le premier tome et un second tome jamais sorti), Nécromants (2 tomes en 2021 et 2024, avec Tina Valentino), les Maléfices du Danthrakon (2 tomes en 2022-2023, avec Arleston et Olivier Boiscommun), Apprentis (2024, avec Olivier Boiscommun), Métamorphes (2024, avec Jonathan Aucomte, second tome à paraître), les Mages de Bonaparte (2024) et en attendant le Destin d’Amrak(août 2025)