Adieu mon Royaume

Dans un royaume médiéval imaginaire, huit personnages se croisent et s’entrecroisent : une sorcière qui craint la magie et les présages, un bouffon retenu à la cour comme un oiseau en cage, une vagabonde dont personne ne veut écouter les voyages, une artiste qui n’en finit pas de mettre ses œuvres à mort, une bête qui a oublié le chemin de la maison, un fanatique tourmenté par le silence de Dieu, un roi despotique ou encore un apprenti hanté par le souvenir de son mentor. De leurs récits de vies chargés de mélancolie, de doutes et de solitude, se dégage une puissance poétique et ésotérique.

Adieu mon Royaume Editions 6 Pieds sous Terre couverture

Marcel Shorjian a choisi d’ancrer son album dans le Moyen-Age. Mais un Moyen-Age fantasmé, dans un royaume mystérieux baigné de sorcellerie et de mysticisme. Le récit s’articule autour de huit personnages qui n’ont, a priori pas de relation entre eux. Leurs destins sont pourtant liés et vont influer délibérément ou involontairement sur le sort de leur Royaume.

Adieu mon Royaume Editions 6 Pieds sous Terre planche

Adieu mon Royaume : Conte fantastique et fable médiévale

Le personnage de la vagabonde ouvre et ferme le récit. Cette femme, de retour dans le royaume ne reconnaît rien et personne ne la reconnaît. Personne non plus ne veut écouter ses histoires de voyages. Elle en aurait pourtant des choses à raconter, des rencontres avec des créatures presque mythologiques, des révélations incroyables… mais personne ne s’intéresse à elle. Le lecteur lui, profitera de son récit… et de quelques autres au gré des rencontres qui se présenteront.

Adieu mon royaume se découpe en huit tableaux qui présentent huit personnages. Autant de narrateurs différents qui racontent leur histoire tour à tour. Ils ne diront jamais leurs noms et sont présentés à travers leur métier (l’artiste, le fou) ou leur fonction (le roi). Qu’ils vivent à la cour, en ville ou en forêt, les protagonistes de ce monde féodal imaginaire dévoilent leurs secrets dans des tranches de vie étonnantes. Ils ignorent tout de leurs liens et dénoncent par le récit de leurs vies, les forces qui régissent le Royaume, le rapport inégal entre les dominants et les dominés. Tous sont malheureux et cherchent à dépasser leurs conditions. Tous se dirigent irrémédiablement vers un final tragique digne d’une tragédie grecque.

Le récit linéaire laisse peu de place à l’action, aux dialogues et à l’aventure. La narration poétique, presque musicale, portée par les différents personnages, s’exprime essentiellement en voix off et exclusivement dans des cartouches. L’auteur n’utilise aucun phylactère ni aucune onomatopées pour se concentrer sur les émotions des protagonistes.

Une BD aux airs de grimoire

Avec la minutie d’un moine copiste, Marcel Shorjian souligne habilement les émotions de ses personnages en s’attardant sur l’expressivité des visages et des regards. Par sa forme autant que par son fond, la BD immerge le lecteur dans son ambiance médiévale mélancolique avec un dessin au trait simple et stylisé, presque sans perspective mais riche de détails, notamment sur la finesse des vêtements.
L’esthétique de l’album évoque celui des grimoires par son découpage qui fait penser, sur certaines pages, à des vitraux. Des clins d’œil réguliers aux cartes de tarots divinatoires rappellent la fatalité qui lie les personnages entre eux et augurent l’issue tragique de leurs destins.

L’album est entièrement colorisé en bichromie, mais chaque chapitre, et donc chaque personnage, est paré de sa propre couleur dominante : par exemple bleu pour la sorcière, orange pour le fou ou encore vert pour le fanatique. Les couleurs ternes accentuent encore la tristesse de ce conte fantastique, contemplatif et introspectif.

Accompagné par un très beau travail éditorial des éditions 6 pieds sous terre, avec un dos toilé et un titre écrit en lettres dorées, Marcel Shorjian signe avec Adieu mon royaume sa deuxième BD en tant qu’auteur complet. Les destins singuliers de ces personnages dans un royaume médiéval autoritaire posent les questions du dépassement de sa condition et du rapport à l’autorité que ce soit dans ce passé révolu, ou dans la société actuelle. L’album, nommé en sélection officielle lors du dernier Festival International d’Angoulême, se ressent tout autant qu’il se lit.

Une chronique écrite par : Emmanuelle DESSEIGNE

Informations sur l’album Adieu mon Royaume :