Sœur Calvaire

Une frêle nonne en mode « badass« , l’habit déchiré, le visage en sang, une tête de démon dans une main, l’autre bras tenant un Pit Bull qui serre le bras, arraché, dudit démon dans ses crocs, et, dans le fond, une fiat 500 devant un coucher de soleil. Dire que la couverture de Sœur Calvaire intrigue et donne une damnée envie de plonger « poings premiers » dans ce one shot, signé du duo espagnol Fran Carmona et Raule, serait un euphémisme, tant il semble déjanté.

Sœur Justine vit dans un monastère des Asturies, dans le nord-ouest de l’Espagne. Sa routine quotidienne est réglée comme un métronome. Sœur Justine est une sœur Calvaire, une redoutable exorciste du genre à savater les démons à coup de rangers dans les dents, avec l’aide de ses fioles d’eau bénite et de sa chienne Natas. Cette double vie n’est absolument pas secrète, toutes ses consœurs se délectant du récit de ses aventures. Lors d’une mission, la nonne rencontre Souleymane Saba, un exorciste musulman qui n’a pas sa langue dans sa poche. Le démon à qui ils font face est redoutable et, alors que la situation semble désespérée, un étrange pouvoir fait irruption en sœur Calvaire, lui permettant d’atomiser façon puzzle son ennemi. Mais, surtout, qui l’entraîne sur un chemin personnel plein d’interrogations et de doutes.

Ave Maria pleine de rage

Dès les premières planches, le ton est donné et la messe est dite. On y suit la journée type et bienheureuse d’une sœur aux yeux de biche à qui on donnerait le bon Dieu sans confession, du lever souriant à 6h30 au coucher, tout aussi joyeux, à 22h45. Le scénario démarre dans la même ambiance que la couverture et ne va plus s’arrêter, ensuite, de monter en intensité. Une énergique bulle, « Aaaargh! Crevez tous ! », débute la troisième page pour un exorcisme qui se révèle être un rêve de notre jeune nonne. Sœur Justine reçoit alors un appel sur son smartphone qui lui annonce une « mission de niveau 3 ». Juste le temps d’enfiler ses rangers, de récupérer sa chienne et direction un joli petit cimetière.

Le rythme est vraiment le gros point fort du récit. Pas une planche où il ne se passe pas une dinguerie. L’action est omniprésente et épique alors que l’humour est des plus efficaces. La relation entre Sœur Calvaire et l’exorciste Souleymane est truculente, avec des dialogues percutants, une qualité que le scénariste Raule avait déjà montrée, entre autres dans Jazz Maynard. Après une première moitié d’album centrée sur le combat contre le démon et la découverte de l’étrange pouvoir surpuissant de la jeune nonne, la seconde partie ralentit un peu l’action et se concentre sur le mystère et le danger autour du pouvoir de sœur Justine, apportant son lot de questions et d’éléments de réponse. Un scénario en somme toute classique mais diablement efficace.

Cantique d’une apocalypse bourrine

La narration prend de l’ampleur lorsque les rassurantes certitudes de Justine s’effondrent, lorsque la surprise qu’elle a eu en découvrant son pouvoir ne semble pas en être une pour l’Église. L’humour se fait plus rare, et les enjeux ne sont plus simplement marrants mais commencent à dessiner une intrigue plus sombre. Les pages défilent mais une interrogation, voire même une crainte, croît à mesure que la fin approche : comment va se conclure cette histoire en si peu de pages ? Comment répondre aux questions de Sœur Justine et résoudre toutes les problématiques qui y sont liées ? L’origine de son pouvoir sera révélée, sans beaucoup de subtilité mais sans décevoir non plus. Pour le reste, les secrets de l’Église, l’étendue du pouvoir, le lecteur n’aura aucune réponse. L’histoire se conclut rapidement, en lançant une nouvelle intrigue que la mention « histoire complète » affichée sur le dos de l’album vient balayer sous le tapis, créant une évidente frustration.

Il faut dire que le duo Justine et Souleymane est des plus attachants, que ce soit dans le scénario de Raule que dans les dessins de Fran Carmona. Plus que l’action, ce sont eux qui sont au centre de l’intrigue et leur complicité naissante aurait pu être passionnante à suivre dans une suite de l’aventure. Le dessinateur tire le meilleur des caractères des protagonistes, et montre un talent indéniable pour les expressions, des moues de Justine aux faciès hilarants de Souleymane. Les démons que l’on croisera brillent aussi par leur charisme et leur originalité. Pour sa première bande dessinée, il s’en tire avec les honneurs pour ce qui est de l’action, complètement folle tout en restant parfaitement lisible, et les décors, semi réalistes, du plus bel effet, le tout sublimé par des couleurs vives, sans être criardes, qui accentuent le côté pop décomplexé du récit. Les gaufriers sont classiques, se permettant de temps en temps quelques excentricités au service de l’histoire et la mise en scène cinématographique est un régal, avec des plans simples mais toujours judicieux et efficaces.

Drôle, rythmé, épique et intrigant, Sœur Calvaire est une parfaite introduction à une série… qui ne verra le jour qu’en cas de succès de ce one shot qui n’en a que le nom. Histoire (in)complète assez frustrante, tant ce qui est proposé dans ses 64 pages est enthousiasmant, avec ses personnages attachants et ses superbes dessins, mais laisse trop de points en suspens et de questions à répondre. Tout était présent dans Sœur Calvaire pour créer une série courte passionnante et jouissive, et il est à espérer un gros succès pour l’album afin d’inciter éditeur et auteurs à prolonger les aventures de Justine et Souleymane.

Une chronique écrite par : Cédric « Sedh » Sicard