Interview de Filou et A.J., auteurs de Pantouf’ : Le chat pas sympa…
À l’occasion de la sortie du premier album de la série Pantouf’, révélant les traits de caractère pas toujours sympathiques d’un vieux chat un peu rondouillard, Filou et A.J., respectivement scénariste et dessinatrice, ont accepté de rencontrer Les Amis de la BD pour une interview animée, l’un de leur chat n’ayant pas manqué de se montrer à l’écran…

©Filou et A.J.
Les Amis de la BD : Pouvez-vous raconter votre parcours ? Comment vous êtes-vous rencontrés autour du projet de Pantouf’ ?
A.J. : Je suis dessinatrice depuis 2006. Au début, j’ai travaillé sur « Ca Cartoon », une émission diffusée sur Canal +. Après, j’ai fait un peu de presse jeunesse, réalisé des visuels pour des tee-shirts, des pièces de théâtre et même des pochettes d’albums, dont une pour le groupe de Filou. Depuis dix ans, j’ai un salon de tatouage sur Lens.
Filou : Avant 2006, tu dessinais déjà, en amateur, tu as participé à des fanzines pour lesquels tu dessinais tes propres BD, et tu as même eu ton propre fanzines, des choses comme ça.
A.J. : Depuis l’adolescence, oui ! J’ai participé à des fanzines pendant plusieurs années, à l’adolescence et au début de l’âge adulte, à la vingtaine. Je dessine depuis que je sais tenir un crayon. Je n’ai pas fait d’études de dessins, je suis autodidacte.
Filou : Moi, niveau scénario, c’est mon premier essai, on va dire. A.J. et moi, on est un couple depuis treize ans. Quand on s’est connus, on avait tous les deux des chats. Aurore, il y en a toujours eu chez tes parents. Il y a une période où il y en avait onze. On a toujours vécu parmi les chats. Et puis, quand on s’est connus, on s’est dit, ce serait marrant de faire un personnage, un chat, qui réunirait tous les défauts de nos chats respectifs. Ce serait le über-chat qui n’est pas sympa. Ça a commencé comme ça. Moi j’écrivais les histoires et A.J. dessinait. À la base, en 2013, on a créé une page Facebook. On faisait une histoire d’une case par semaine. Je n’étais pas scénariste plus que ça mais je me suis toujours intéressé à la BD franco-belge. A.J., c’est plus le Manga. On s’est rencontrés à mi-chemin entre la BD franco-belge et le Manga : Pantouf’, c’est de la BD franco-belge, mais avec certains codes du Manga.
A.J. : Tu étais habitué à l’écriture quand même, même si ce n’était pas la même chose !
Filou : J’écris des chansons, donc, en effet, ce n’est pas tout à fait pareil. À partir de là, on a continué cette page, et régulièrement il y avait des gens qui nous demandaient où on pouvait trouver la BD alors qu’il n’y en avait pas. C’était juste une page comme ça qu’on avait faite pour se faire plaisir et puis, pour échanger avec des gens qui avaient des chats et en discuter. À force, on s’est dit qu’on allait faire une BD, vu que tout le monde avait l’air d’en vouloir une. Parmi nos contacts Facebook, il y avait une dame qui connaissait un éditeur. C’est comme ça que ça a commencé. Ça, c’était en 2023. Au bout de dix ans de page Facebook, on avait atteint les 11000 followers. C’est ça qui nous a poussé à le faire mais à la base, ce n’était pas dans nos projets. A.J. avait des projets plus manga dans son escarcelle, qu’elle est encore en
train de préparer pour l’avenir. Ça s’est fait parce qu’il y avait une opportunité.

©Filou & A.J.
Les Amis de la BD : Vu que tout était déjà sur Facebook, avez-vous conçu de nouveaux gags ou avez-vous décidé, à partir de la matière existante, de les réunir dans un album ?
Filou : Tout est neuf. Quand on a commencé le dossier BD, j’ai trouvé des idées, de quoi faire trois volumes. Là, on a publié le premier, il y en a encore deux dans les cartons. Mais c’était de nouvelles histoires, à quelques exceptions près. C’est assez rare, mais on a repris quelques unes qui étaient sur la page Facebook, en une case, qu’on a développées en une page. Ça représente peut-être dix pour cent.
Les Amis de la BD : Avez-vous une manière de travailler à deux ? Y en a-t-il un qui prépare tranquillement, et l’autre qui dessine tout en une seule fois, par exemple ?
A.J. : Filou a écrit les trois volumes. J’ai travaillé sur le premier pour l’instant. Moi, j’avais le texte quand j’ai commencé à dessiner, déjà découpé, parce qu’il met en scène dans sa manière d’écrire, donc j’ai juste à suivre les indications. Je fais toutes les pages en crayonné d’abord, ensuite j’encre et puis je fais la couleur.
Les Amis de la BD : Ce n’est pas du tout réalisé à l’ordinateur ?
A.J. : Les crayonnés sont dessinés à la main. Les couleurs et l’encrage, à l’ordinateur. Je préférerais faire l’encrage à la main, mais je n’ai jamais trouvé une manière de scanner qui me convienne, pour que ce soit propre. Je préfère le papier à la tablette, mais je suis obligée de passer par la tablette.
Les Amis de la BD : ça vous a pris un an, deux ans…
Filou : Pour les dessins, ça a pris environ 6 mois. Parce que quand on a contacté l’éditeur, il nous a dit « oui, je suis intéressé, mais là actuellement, je ne peux pas, j’ai déjà fait le programme des sorties (…) on verra ça en janvier 2024 ». En janvier 2024 on l’a recontacté et on a eu son accord. C’est à partir de ce moment-là qu’A.J. s’est mise à travailler sur les dessins. On a remis notre travail en juin 2024 et c’est sorti en octobre. Moi, j’écris mes histoires en ayant déjà en tête le découpage car quand j’étais petit, j’aimais bien la BD aussi, j’en faisais des petites dans des cahiers, etc. Mais je ne suis pas assez bon en dessin. Pour Pantouf’ j’avais déjà la mise en scène, le découpage de mes histoires plus ou moins en tête. Après, on en parle avec A.J., on en discute parce qu’elle a l’expertise du dessin. Elle sait dire ce qui convient mieux par rapport à moi.
Les Amis de la BD : Vous êtes une équipe, chacun a sa vision !
Filou : Oui, on échange. Parfois elle me dit, « Oui, cette histoire-là, c’est un peu rude », il faut enrober le truc…

©Filou & A.J.
Les Amis de la BD : Comment avez-vous développé un chat avec une belle identité, alors qu’il existe tellement de chats en BD ?
A.J. : On n’a pas pensé à le créer pour monter un dossier BD. Au départ, c’était vraiment juste pour s’amuser sur Facebook. Donc, on n’a pas forcément cherché l’originalité, on a juste pioché parmi les comportements de nos chats respectifs.
Filou : A.J. a trois chats, moi j’en ai quatre donc, en prenant un peu les anecdotes des uns et des autres, déjà, on a eu de quoi raconter des choses sur la page Facebook.
A.J. et Filou : Pour le physique, on s’est dit qu’un vieux chat pas très beau, gris souris, un peu bougon, … ça correspondait mieux au caractère. Un physique agréable, ça n’aurait pas collé avec un chat qui est vraiment désagréable. [un chat passe devant l’écran, répondant au nom de Jacky, une discussion à propos de nos chats respectifs s’ensuit.]
Les Amis de la BD : Nous avons remarqué que vous êtes aussi très réactifs sur les réseaux sociaux mais comme vous le dites, vous y êtes depuis des années…
Filou : C’est moi qui gère ça. C’est agréable pour eux d’avoir une réponse et de voir que derrière les écrans, il y a des gens qui regardent, de vraies personnes avec lesquelles on peut avoir des conversations. Ce qu’on a trouvé marrant dès le début, c’est que les gens s’adressent à Pantouf’, ils ne s’adressent pas à nous. S’ils savaient que c’est moi derrière, ils ne parleraient peut-être pas de la même façon. Depuis, on fait comme si c’était le chat qui répondait. La plupart des gens qui sont sur la page ont des chats. Ça leur fait plaisir de partager leurs expériences et de se retrouver là-dedans et on a l’impression qu’au final on est une grande famille. Pour qu’il y ait un échange, il faut qu’on réponde assez rapidement, si on le fait trois jours après, ça tombe à plat. Les gens nous taquinent et nous on les taquine aussi.
Les Amis de la BD : Les Editions Grrr… Arrt vous laissent-elles une certaine autonomie ?
Filou : On avait déjà la page Facebook avant, ils n’avaient pas grand-chose à dire là-dessus. Monsieur Grard est assez ouvert. Il ne nous met pas trop de conditions, pas trop de barrières. Il nous a fait quelques remarques quand on a envoyé le script du premier volume, dont on a tenu compte, parce qu’elles étaient pertinentes. Par exemple, il voulait des histoires assez courtes qui tiennent sur une page, sans titres. On avait mis des titres pour chaque histoire mais il nous a dit «si vous mettez un titre, ça explique déjà la chute ». Il avait raison. De plus, des histoires qui tiennent sur une planche, cela a plus d’impact que si ça se développe sur deux-trois pages…
A.J. : Il a fallu retravailler certaines histoires, mais au final, c’était mieux.
Les Amis de la BD : Et le second volume sort bientôt ?
Filou : Ce n’est pas encore officiel. Disons que notre éditeur nous en a fait la proposition. On a réfléchi, on lui a donné notre accord, on attend d’avoir confirmation. Il voudrait faire une sortie un peu plus officielle du 1er volume, car comme il n’avait plus de distributeur, c’est sorti un peu comme ça, avec nous qui faisions la promo de notre côté. Ce n’est pas notre métier, mais on le fait quand-même. Il voudrait mettre ça chez un distributeur pour que ce soit un peu plus trouvable qu’à l’heure actuelle car pour l’instant, on ne peut l’acheter que sur le site de Grrr… Art éditions.

©Filou & A.J.
Les Amis de la BD : Y a-t-il eu des choses auxquelles vous ne vous attendiez pas en vous lançant dans le monde de la BD et qui vous ont surprises ?
A.J. : C’était les deadlines, surtout. C’est difficile d’évaluer ce que ça va nécessiter en temps de travail. J’ai un peu dépassé les délais que j’avais données à la base. Maintenant, je sais ce qui est réaliste. Pour le deuxième, je pourrai lui donner une meilleure estimation. A part ça, c’est un peu plus stressant que de faire du fanzinat. On sait que c’est un bouquin qui va être édité, qui va être imprimé, donc qui coûte de l’argent. Quelqu’un investit là-dedans. Ce n’est pas la même chose que le fanzinat où on va faire nos photocopies nous-mêmes… Un peu plus de responsabilités.
Filou : Il y a aussi un public en face qui est en attente et qu’on n’a pas le droit de décevoir.
Les Amis de la BD : Et là, comment ça se passe pour l’instant en dédicaces ? C’est un peu comme sur les réseaux ?
Filou et A.J. : On a l’impression que ce sont les mêmes gens qui viennent. Ils ont lu la BD ou pas, ils nous connaissent sur Facebook ou pas… mais une fois qu’on commence à parler de chats, ça se passe bien. On n’a fait qu’une séance pour l’instant, au Furet du Nord de Lens. L’équipe était super contente. Nous, on n’avait aucune idée, on n’avait aucun repère en ce qui concerne les ventes. On en a vendu 25 sur la journée. On s’est dit « c’est bien… ». Les gens du Furet nous ont dit : « 25, c’est quand même pas mal ! ». On avait même peur de s’ennuyer, car on est déjà allés dans des librairies où il y avait des dédicaces et on voyait un gars tout seul à sa table qui s’ennuyait… On pensait devoir prévoir un jeu de cartes. Finalement, ça a défilé toute la journée. C’est passé vite. En plus, comme A.J. a son salon de tatouage à Lens, certains de ses clients sont passés pour acheter la B.D.
Les Amis de la BD : Ils ne demandent pas un tatouage de Pantouf ?
A.J. : J’en ai déjà fait un !
Filou : Il y a un client qui suivait la page Facebook, qui a un chat qui s’appelle Pantoufle et il s’est fait tatouer Pantouf’ sur le mollet.

©Filou & A.J.
Les Amis de la BD : Avez-vous des sources d’inspiration particulières en BD ?
A.J. : Moi, ce sont les animés et mangas des années 70-90. Rumiko Takahashi qui a dessiné Maison Ikkoku (Juliette je t’aime), Lamu… Mitsuru Adashi qui a dessiné beaucoup de séries sur le base-ball. Touch (Théo ou la batte de la victoire), des trucs comme ça. Les Magical girls, aussi ! Quand j’étais petite, j’étais une grosse fan de Creamy, Sailor Moon… Ça n’a absolument rien à voir avec Pantouf’. Je regarde souvent d’anciens animés japonais en DVD, sur Youtube,… En ce moment je regarde Wataru (Adrien le sauveur du
monde), c’est un animé de 1988. Les années 80, c’est ma période préférée.
Filou : Pour moi, c’est plus la BD franco-belge. Quand j’étais petit, forcément, j’ai aussi regardé des animés, c’était le début de Goldorak, Tom Sawyer, … mais pour la BD c’était vraiment plus des choses comme Frank Margerin, Jano ou du franco-belge classique : Cubitus, Boule et Bill, les Tuniques Bleues. Quand j’étais gamin, il y avait un bibliobus qui passait dans le village. Je prenais toutes les B.D. qu’il y avait et je lisais tout sans faire trop de distinctions. J’aimais moins ce que j’appelle la « masturbation graphique », les choses un peu trop léchées avec des dessins très détaillés, réalistes. Tout ça, ce n’est pas mon truc. Je préfère limite les Schtroumpfs, des trucs bien colorés, et surtout de l’humour. Pour moi, la BD, c’est pour distraire, ça doit faire rire les gens. Il y a d’autres styles de BD qui sont beaux, qui sont intéressants, tout ce qu’on veut, mais moi ce n’est pas mon truc.
Les Amis de la BD : Vous deux, vous avez chacun un chat en BD que vous aimez plus que les autres ?
A.J. : Roméo dans Lucile, Amour et Rock’n’roll. C’est un animé des années 80, c’est un gros chat.
Filou : Il n’y a pas vraiment un chat en BD que j’aime vraiment…
A.J.: Il y a Pantoufle ! De Raymond Macherot !
Filou : On s’en est rendus compte après. Du coup, on a modifié le nom du notre ! Il n’y a quasi rien qui est paru mais c’est un personnage qui apparaît de temps en temps dans ses travaux !
A.J. : Comme on n’avait vraiment pas de prétentions éditoriales à la base, on ne s’est pas posé la question de savoir si quelqu’un avait un personnage du même nom. C’est quand on a signé avec Monsieur Grard qu’on s’est dit “on va peut-être modifier le nom pour ne pas avoir de problème”.
Les Amis de la BD : Pour terminer, avez-vous un petit mot pour Les Amis de la BD, que l’on puisse faire passer à notre communauté ?
A.J.: Merci pour la publicité que vous nous faites, en diffusant des extraits de la BD, la critique. Continuez à acheter de la BD, des albums papier. Moi, par exemple, je n’aime pas du tout ce qui est dématérialisé, je ne peux pas lire une BD en version numérique, j’aime bien l’objet. Même pour les livres, j’aime bien le papier. Continuez à consommer des livres physiques !
Filou : Comment dédicace-t-on un livre qui n’est pas physique ? Signatures électroniques ?
A.J. : On peut faire un dessin sur une feuille volante, mais ça n’a pas le même charme. On va faire un tampon [rires] !
Cet interview s’est déroulé mi-janvier. Depuis lors, Filou et A.J. n’ont eu de cesse de présenter Pantouf’ à divers salons et animent avec enthousiasme leur page Facebook. Le second volume est signé et A.J. travaille actuellement dessus.

©Filou & A.J.
Propos recueillis par : Aurélie Dorchy
Retrouver l’album Pantouf’ : Le chat pas sympa… sur le site de Grrr…Art Editions.