Carcoma
Si les récits de pirates se font rares dans les salles de cinéma ou dans les rayons littérature des librairies, ils ont le vent en poupe dans les œuvres du neuvième art. Preuve en est à nouveau avec Carcoma, un joli one shot d’aventures horrifiques signé Andrés Garrido chez Dupuis.

© Carcoma – Andrés Garrido – Dupuis, 2025
Sur son navire le Carcoma, le terrible Capitaine recueille les âmes en peine et les âmes damnées. Celui, ou celle, car tout le monde semble bienvenu sur le bateau pirate. Qui est rejeté par la société ou désire, pour quelconque raison, la fuir, est accueilli. Une règle : on ne met plus les pieds à terre. La terre, c’est le mal, c’est la corruption. Alors que le bâtiment navigue en eaux sales, la nourriture se fait rare, et l’équipage fatigue, physiquement comme psychologiquement. Alors, lorsque Sépia, à la vigie, s’endort et que le navire heurte la terre, il faut bien se résoudre à descendre pour réparer. Aucun village ni port à l’horizon, les pirates seront donc à l’abri de la civilisation. Mais les deux petites créatures du lagon bouleverseront la vie à bord du Carcoma.

© Carcoma – Andrés Garrido – Dupuis, 2025
« Et seules les mouettes me pleureront«
Loin des histoires de pirates habituelles, aventures épiques et libertaires, la première œuvre de l’espagnol Andrés Garrido, en tant qu’auteur complet, tend vers le récit horrifique dans un huis clos oppressant. L’ambiance sombre de l’intrigue se retrouve jusque dans les protagonistes de ce généreux one shot. En effet, l’équipage est constitué de marginaux, violents, lubriques, alcooliques, froids… Des personnages pour qui il est compliqué de ressentir de l’empathie. Même leurs noms sont inconnus, ils n’ont que des surnoms. Signe qu’ils ont abandonné leur humanité en rejoignant l’équipage du Carcoma. L’auteur décide, en plus, de ne révéler que très peu d’éléments de leur passé. Ils ne sont plus que des fantômes d’eux-mêmes, fuyant le monde, se persuadant, par un serment collectif, qu’il n’y a plus rien sur terre et que nul ne les pleurera.

© Carcoma – Andrés Garrido – Dupuis, 2025
Des fantômes, certes, mais les émotions fortes en plus, les membres de l’équipage ne sont, en effet, pas avares en coups de sang, coups de gueule, ou coups, tout court. L’alcool, la solitude, l’enfermement, il faut dire que ça ne favorise pas la sérénité, à l’image du capitaine, figure paternelle, un Nemo avant l’heure. Même Sepia, qui fait figure de premier rôle de l’histoire, n’est pas présentée comme lumineuse. La lumière, à bord du Carcoma, viendra de la créature ramenée et choyée par la pirate, à l’inverse de celle qui s’est invitée chez le Capitaine. Deux créatures, deux symboles : l’espoir contre la rage. Originellement identiques, elles auront un destin et un rôle contraire au contact des hommes. La première, recueillie, aimée, protégée, dans la tendresse et la camaraderie retrouvée de l’équipage, sera resplendissante et rayonnante. La seconde, avalée malencontreusement par le Capitaine, dans sa bouteille de gnôle, grandira dans le corps de cet homme aigri et sombre avant d’être recrachée dans la colère et la rancœur. Elle apportera l’horreur face à bord du navire.

© Carcoma – Andrés Garrido – Dupuis, 2025
La petite sirène chelou
L’univers dépeint par Andrés Garrido baigne dans l’étrange. Non seulement, on n’y croise aucun humain en dehors de l’équipage, renforçant cette impression qu’ils sont tous déjà morts, mais le bateau navigue dans ce que l’équipage appelle les « Eaux Putrides », pleines de poissons aux maladies écœurantes. Cette ambiance bizarre est largement renforcée par le dessin et les couleurs d’Andrés Garrido. Les planches sont ternes, aux coloris peu variés, baignant tout le récit dans une moiteur fétide que même la sirène peine à chasser. Quant au dessin de l’Espagnol, que ce soit dans le navire peu réaliste ou les personnages aux traits exagérés, tout participe au malaise et à l’oppression de cet huis clos.

© Carcoma – Andrés Garrido – Dupuis, 2025
Le coté caricatural est très réussi, permettant une parfaite caractérisation des protagonistes. Malgré leur manque de construction, chaque membre de l’équipage est facilement reconnaissable. Seul le nez, à la longueur exagérée à l’extrême, pourra parfois sortir un peu le lecteur des cases de l’album. L’autre intérêt de ce traitement graphique des personnages est de souligner l’aspect comique de certaines scènes. Bien que Carcoma soit un récit très sombre, il possède également son lot de moments plus légers. Un dessin « premier degré » aurait clairement créé un trop grand décalage entre ces instants drôles et le reste de la narration.

© Carcoma – Andrés Garrido – Dupuis, 2025
Savant mélange d’aventures fantastiques, avec ses pirates et ses sirènes, et d’horreur pure, tout en ayant un côté dramatique indéniable et souvent poignant, Carcoma est un récit complexe, passionnant et captivant servi par un dessin original et maîtrisé à la mise en scène cinématographique. Baigné dans la putridité et le désespoir tout au long de son intrigue, ce superbe one shot se clôt magnifiquement sur un épilogue en forme de renaissance, à la fois triste, poétique et pleine d’espoir.
Une chronique écrite par : Cédric « Sedh » Sicard

© Carcoma – Andrés Garrido – Dupuis, 2025
Informations sur l’album :
- Scénario : Andrés Garrido
- Dessin : Andrés Garrido
- Couleurs : Andrés Garrido
- Éditeur : Dupuis
- Date de sortie : Le 7 février 2025
- Pagination : 176 pages en couleurs
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