Le jour du caillou

Deux amis-amoureux, une boucle temporelle et un petit jet de caillou qui sème le trouble dans une relation déjà bien compliquée. Le jour du caillou oscille entre la jolie fable et la pièce de théâtre. Véro Cazot et Anaïs Flogny soignent un très beau récit, empli de sensibilité, qui explore notamment le délicat équilibre existant entre l’amour et l’amitié.

Le jour du caillou Dupuis couverture — Le jour du caillou ©Dupuis – Véro Cazot / Anaïs Flogny

Enfants, Mona et Eko se jurent de ne jamais se laisser tomber, au sens propre comme au figuré. Les deux amis fréquentent le cirque de leur village. Ils y exécutent des numéros d’acrobates. Pourtant, « s’il n’y a rien de pire que l’amour, ça se termine toujours mal », les amis ne sont pas forcément toujours unis pour la vie. Que restera-t-il de cette promesse d’enfance ? Pas grand-chose semble-t-il.

Des années plus tard, on retrouve Mona qui boîte. D’un pas pressé, elle avance sur un chemin de campagne. Son cheminement est gêné par un caillou qu’elle a, semble-t-il, volontairement glissé dans sa botte. Pour la jeune femme qu’elle est devenue, il symbolise une peine dont elle entend bien se débarrasser en le jetant dans une rivière. La peine ? La voici justement qui débarque avec fracas ! il s’agit d’Eko. Cela fait un an et demi que le jeune homme avait disparu sans laisser d’explication à son amie. Il est revenu pour lui dire au revoir – il part en tournée avec sa fiancée. Mais, quelque chose le tracasse. Il cherche à déjouer les plans de la jeune femme ; il ne faut surtout pas qu’elle jette ce caillou !

Le jour du caillou Dupuis planche 3 — Le jour du caillou ©Dupuis – Véro Cazot / Anaïs Flogny

Et pour cause, à chaque fois que la pierre atterrit dans la rivière, Eko et Mona se retrouvent à revivre une nouvelle fois cette journée : les deux amis sont donc bloqués dans une sorte de boucle temporelle. Et si la jeune femme ne se souvient absolument de rien à chaque recommencement, ce n’est pas le cas d’Eko. Le garçon revit une nouvelle fois cette journée, avec l’ensemble de ses souvenirs.

L’écho d’Eko !

Il y avait les petits cailloux blancs du Petit Poucet pour retrouver son chemin, dorénavant il y aura le jour du caillou de Véro Cazot. À cette différence que le sien, de caillou, atterrit et coule dans l’eau, laissant des cercles concentriques. Si ceux-ci finissent par s’estomper, doit-on toutefois y trouver un lien entre l’écho de l’onde d’eau et cette situation du malheureux Eko. Voici déjà une belle allégorie à cette boucle temporelle dans laquelle sont bloqués les deux protagonistes.

Alors bien évidemment, il y a un côté Un jour sans fin dans l’évocation de cette boucle temporelle. Puis, comme dans toute histoire mêlant amitié et amour, on s’attend à un dénouement heureux. Pourtant le suspense est palpable. On s’agace des échecs répétés de ce pauvre Eko. À mi-chemin entre la pièce de théâtre et la comédie romantique, on se laisse porter par le burlesque de cette inextricable situation développée par la scénariste.

Le jour du caillou Dupuis planche 4 — Le jour du caillou ©Dupuis – Véro Cazot / Anaïs Flogny

Des aplats d’émotions

Au dessin, Anaïs Flogny ne ménage pas sa peine : pourtant, il lui aurait été facile de répéter en boucle certaines mêmes planches grâce à ces retours permanents dans le passé. La poésie de ses illustrations s’accroche sans peine au lyrisme du scénario de Véro Cazo. Les jolis aplats de couleurs se combinent parfaitement à la légèreté de son trait.

Certaines expressions de visages sont théâtrales, basculant ainsi lectrices et lecteurs dans l’allégresse d’un véritable spectacle de rue, rythmé, et surtout, haut en couleur. Tout au long des pages du récit, on virevolte entre les émotions, du désespoir à la joie, en passant par la désillusion des échecs répétés d’Eko à empêcher ce jet de caillou. Et, en quelques cases bien senties, l’illustratrice nous raconte les crispations d’une journée qui n’en finit pas et qui revient lancé après lancé.

Le jour du caillou Dupuis planche 5 — Le jour du caillou ©Dupuis – Véro Cazot / Anaïs Flogny

L’association Anaïs Flogny et Véro Cazot fonctionne parfaitement. Les deux autrices dévoilent un album qui fourmille de lyrisme afin d’évoquer la complexité d’une amitié (dans le cas présent, entre une fille et un garçon), plus particulièrement lorsque ce difficile équilibre est fragilisé et bousculé par des sentiments amoureux inavoués. Le lecteur ou la lectrice se laissera porter par cette belle histoire, attendant impatiemment son dénouement qui n’interviendra que par la cassure de cette agaçante boucle temporelle. Reste à trouver la solution !