Entretien avec Guillaume Leblanc, dessinateur de Guns & Gremlins
À l’occasion d’une séance de dédicaces de sa toute première BD, le samedi 30 novembre 2024 chez Bulles en Cavale (17), Guillaume Leblanc a accepté de se prêter au jeu de l’interview pour les Amis de la Bande Dessinée.
Les Amis de la Bande Dessinée : Bonjour Guillaume.
Gullaume Leblanc : Bonjour les Amis de la BD et merci de votre intérêt pour Guns & Gremlins.
Les Amis de la Bande Dessinée : C’est toujours intéressant de pouvoir échanger avec de nouveaux auteurs BD.
Guillaume Leblanc : Oui, heureusement qu’il y a des passionnés comme vous, qui nous soutiennent, car ce n’est pas toujours facile avec les grands groupes qui font des choix et qui ne jouent pas le jeu de la même manière avec tout le monde, du coup cela invisibilise certaines BD et certains auteurs.
Les Amis de la Bande Dessinée : Oui, c’est vrai que cela n’est pas facile. Peux-tu nous parler un peu de toi, de tes tous premiers dessins jusqu’à ta proposition de réalisation de ta première BD Guns & Gremlins pour Ankama.
Guillaume Leblanc : Je dessine depuis tout petit et je ne me suis pratiquement jamais arrêté. Mes premiers dessins, je les ai encore dans un carton, ils datent de la maternelle et du CP.
C’est marrant, je ne raconte pas souvent cette anecdote, mais la première fois que j’ai compris qu’il y avait peut-être un truc à faire avec le dessin, j’étais en CP. Il fallait dessiner l’histoire en 4 dessins d’un petit africain qui s’appelle Totolitoto. Le soir à la maison, mes parents me disent «il y a le directeur de l’école qui veut nous parler, qu’est-ce que t’as encore fait comme *********? » Et en fait, c’était pour demander l’autorisation d’afficher mes dessins à la fête de l’école. Et c’est à cet instant que j’ai réalisé pour la première fois qu’il y avait peut-être quelque chose à faire. J’avais 6 ans.
Après, je ne me suis jamais arrêté et j’ai toujours grattouillé à droite, à gauche avec des influences franco-belges, américaines avec les Strange, qu’on a vu arriver dans les années quatre-vingts, et puis ensuite avec les mangas. Donc j’ai toujours dessiné mais à côté du du travail.
Les Amis de la Bande Dessinée : Tu as fait un parcours artistique ?
Guillaume Leblanc : Pendant 3 ans, j’étais dans une école pour préparer un brevet technique en maquettisme publicitaire. J’y ai appris quelques trucs, mais bon, ce n’est pas là que j’ai développé le plus mon dessin, c’était plus de la mise en page, de la colorimétrie et tout ça.
Les Amis de la Bande Dessinée : Tu es plutôt un autodidacte ?
Guillaume Leblanc : Oui, mais si je devais refaire mon parcours, sans trop d’effet papillon, j’aimerais plus bosser mes bases techniques. En autodidacte tu ingères, tu digères et tu retraces tes influences si tant est qu’elles soient bonnes, mais pour dessiner, mine de rien, il faut quand même un minimum de bases académiques que je n’avais pas forcément bossées à l’époque alors que j’aurais dû renforcer ces bases. Mais bon, je pense que je ne m’en suis pas trop mal sorti quand même.
Les Amis de la Bande Dessinée : Il y a des auteurs, des dessinateurs qui t’ont inspiré plus que d’autres ?
Guillaume Leblanc : Évidemment il y en a plusieurs mais si je ne devais en garder qu’un c’est Katsuhiro Otomo, le papa d’Akira, qui a certainement été ma plus grosse claque, mon plus gros socle conscient quand j’étais jeune. Akira, on est toute une génération à s’être pris ça dans la tête et moi ça a complètement changé mon paradigme et ma façon de dessiner. Avant je faisais de la petite BD pour m’amuser, plus en mode niveau de jeu vidéo sur une page, façon ennemi baston, jeu en étage, ennemi baston. Alors qu’après Akira, je voulais vraiment raconter des histoires. Akira ça a vraiment tout changé pour moi..
Les Amis de la Bande Dessinée : Aujourd’hui comment définis-tu ton style ?
Guillaume Leblanc : Il y a encore pas si longtemps j’estimais ne pas avoir de style. J’ai beaucoup d’amis qui dessinent, notamment un qui est très très bon et qui a une patte vraiment reconnaissable. J’ai toujours un petit peu été envieux en lui disant « t’as vraiment un style». Lui, il n’a eu cesse de me répéter que moi aussi j’en avais un, mais je ne m’en rendais pas vraiment compte. Donc maintenant, si tant est que j’arrive à définir ce qu’on pourrait appeler mon style, je dirais que c’est un espèce de patchwork entre diverses influences, franco-belge, Mangas, Comics, avec évidemment plus une propension japonaise.
Mais je ne sais pas si je peux dire que j’ai un style, tu le verras à l’usage mais en fait j’ai plein de styles différents. J’ai des styles très sombres, très charbonneux, au stylo à bille ou à l’encre, …. en fait j’essaye d’adapter mon dessin au service de l’histoire et de la narration. Si c’est un sujet avec des nymphes et des belles filles j’adopterais un trait plus classieux que si c’est une histoire de baston et de Vampires où je pourrais me lâcher un peu plus.
©Guns & Gremlins – Guillaume Leblanc – David Hasteda – Feylin – Ankama Editions – Bulles En Cavales
Les Amis de la Bande Dessinée : Guns & Gremlins est donc la première BD que tu réalises, comment ce projet est arrivé entre tes mains ?
Guillaume Leblanc : C’est assez simple en fait, je ne sais plus si c’est en 2016 ou 2017, on va dire 2016, David Asteda est entré en contact avec moi via Facebook, parce qu’on avait des amis communs. Il a vu que je dessinais, on a sympathisé et puis on a bossé sur plusieurs projets qui n’ont jamais vu le jour pour diverses raisons. Bon après ils restent dans les tiroirs et peut être que ça émergera plus tard.
Et dans les projets qu’il avait à l’époque, il y avait un certain Guns & Gremlins qui était passé entre mes mains. J’avais regardé mais très vite il m’a dit qu’il y avait déjà un dessinateur dessus. De toute façon à cette époque je ne me voyais pas dessiner des avions.
Et puis des années plus tard, alors que j’avais abandonné l’idée de faire de la BD, David me rappelle et me dit, «écoute, je suis un peu dans la panade là, je n’ai plus de dessinateur pour Guns et Gremlins, est-ce que tu veux pas faire des essais sans quoi la BD ne se fera pas». Donc j’ai fait des essais et puis il se trouve que c’est passé, tous les feux se sont mis au vert et je me suis dit «écoute tu serais idiot de ne pas le faire, si tu ne le fais pas maintenant tu ne le feras jamais». Grand bien m’en a pris. Donc voilà comment je suis arrivé sur Guns & Gremlins, un peu par hasard.
Les Amis de la Bande Dessinée : Comment tu as abordé ce projet, Il y a un point qui te semblait super difficile à réaliser ou quelque chose qui t’enthousiasmait davantage, quelle a été ton approche ?
Guillaume Leblanc : J’ai été vite mis en contact avec les premières planches de l’ancien dessinateur et j’ai eu à cœur très vite de m’emparer de l’univers qu’il avait créé pour y apposer ma patte, à savoir beaucoup plus d’interactions humaines. J’étais hyper enthousiaste. De la même façon que tu te dis «ah, elle est super cette montagne, je vais la gravir» et puis tu es content, tu cours, et puis très vite tu te vautres, et puis très vite tu sues, et puis très vite tu saignes (rires).
Au début, j’ai dû enchaîner une bonne dizaine de planches et puis je me suis très vite retrouvé confronté à la réalité du métier qui, il y en a qui en doute encore, est un vrai métier avec ses codes, des interactions avec des collègues. C’est vraiment un boulot énorme si tant est qu’on aime ça, qu’on en lise ou qu’on dessine, on est loin de se l’imaginer, sauf quand on a le nez dedans évidemment, du boulot que c’est.
Donc j’ai du très vite apprendre, ça a été à la dure. En plus pour Ankama, qui, à juste titre, avait des exigences et un 96 planches, d’entrée, c’était quand même un gros morceau. Et puis il y avait une certaine pression parce que c’était un titre qui était attendu depuis un certain nombre d’années, qui était signé, ça faisait un peu serpent de mer, les gens n’y croyaient plus trop.
Donc j’avais toute cette pression sur les épaules, avec toutes les avaries techniques qu’il y a pu avoir. En gros, pour résumer, je te dirais que ça a été a posteriori une très bonne expérience, qui n’aura pas été facile dans son ensemble, mais qui aura été forte en leçons et en apprentissages.
Les Amis de la Bande Dessinée : Tu parles du travail en équipe, avec le scénariste David comment cela s’est passé la collaboration ?
Guillaume Leblanc : Avec David ça s’est toujours très bien passé. Il m’a fourni un script complet de A jusqu’à Z avec tout ce qu’il y avait sur toutes les planches. Les 50 premières planches étaient déjà très bien documentées par le premier dessinateur. Le story-board était acté mais n’ayant pas le même style ni la même vision de découpage, très peu de choses sont restées de l’ancien story-board, j’ai presque tout remanié.
Et à partir de la planche 50 jusqu’à la fin, rien n’était fait. Chaque page était très bien détaillée par David, je n’avais plus qu’à m’emparer de sa vision, la traduire en dessin et puis de temps en temps, y apporter mes idées, mes conceptions visuelles comme réunir 2 cases en une ou de diviser une case en 2. Mais à peu de choses près j’ai toujours été très proche de ce que voulait David puisque je me suis toujours considéré au service du récit car je pense que c’est la bonne façon de faire. Je suis presque un faiseur, avec cette liberté de lui apposer un peu ma patte.
Les Amis de la Bande Dessinée : Comment tu dessines, tradi ou tablette ?
Guillaume Leblanc : Je bosse exclusivement à l’iPad car c’est très pratique. J’aime beaucoup bosser en traditionnel mais quand il s’agit de rentrer dans une phase de rentabilité et de productivité, l’informatique c’est quand même pas mal. Donc je dessine sur iPad et ensuite je passe par l’ordinateur avec un autre logiciel pour faire les cadres, pour changer quelques teintes et après j’envoie les planches à la coloriste.
Les Amis de la Bande Dessinée : Avec les coloristes comment avez vous travaillé ?
Guillaume Leblanc : Au début, je l’ai aiguillé surtout par rapport à ce que je voulais en terme de scénographie, où étaient les points lumineux, d’où venait la lumière, où étaient les ombres et tout ça. Et puis après, très vite, je l’ai laissé se débrouiller pour qu’elle apporte elle aussi sa touche parce c’est important aussi pour elle. Enfin avec David on a milité tous les deux pour que son nom soit aussi sur la couverture, ce qui arrive trop rarement pour un coloriste.
De ce fait, je l’ai laissée libre d’appliquer les couleurs qu’elle voulait. Après il y avait un certain cahier des charges pour dire que la petite fille japonaise était brune ou préciser que la salopette était bleue, et cetera. Voilà, il y avait certaines bases en dehors desquelles elle s’est débrouillée.
Les Amis de la Bande Dessinée : A la lecture de la BD il y a un point qui m’a interpellé, c’est tout ce qui est lié aux explosions et aux flammes. J’ai l’impression que c’est l’incursion d’images retravaillées en fait.
Guillaume Leblanc : en fait non, c’est des brushes donc comment expliquer ça ? C’est des pinceaux numériques qui donnent des effets. Tu vois pour certains effets de rouille c’est un brush particulier, c’est de l’outillage informatique. Il n’y a pas ou peu, je dis peu par par mesure préventive, d’images qui ont été accolées ou modifiées. Par contre effectivement pour toutes les explosions j’ai utilisé un brush qui s’appelle « arbre brûlé », un truc comme ça fait un effet de cramé. En fait tu la poses, tu bidouilles un peu et ça donne une impression d’explosion.
Par contre pour les flammes je ne l’ai pas énormément utilisé parce que je n’ai pas trouvé ça très probant, mais bon, par souci de productivité des fois, il y a un Brush qui fait des espèces de flammes et que j’ai pu utiliser, mais en tout cas il n’y a pas d’image chopée sur Google et juste posée. Voilà, l’outil numérique offre certaines possibilités qui te facilitent le travail lorsque tu dois rendre les planches dans un temps limité.
Les Amis de la Bande Dessinée : Combien de temps as tu eu pour dessiner l’album ?
Guillaume Leblanc : Au départ on avait pas trop de d’idées arrêtées, si ce n’est a fin 2023. On a très vite vu que ça serait tendu, tant pour moi que pour la coloriste. Et puis à un moment j’ai dit à mon éditrice, Charlotte, « Bon vous savez quoi ? Je m’engage à terminer le jour de mon anniversaire, au mois de juillet» et j’ai terminé la dernière planche le jour de mon anniversaire, je l’ai envoyée et j’étais très content. Donc entre la signature et la la restitution de la dernière planche, il y a eu quasiment 2 ans.
Les Amis de la Bande Dessinée : Deux ans pour 96 pages c’est pas mal.
Guillaume Leblanc : Oui, ce qui est compliqué, c’est d’arriver à mêler qualitatif et quantitatif et ça, ça demande beaucoup, beaucoup d’investissement.
Les Amis de la Bande Dessinée : Pour la création des personnages, pour le Gremlin, David t’a également donné des indications très précises ou alors c’est toi qui l’a imaginé un petit peu à ta sauce ?
Guillaume Leblanc : Pour les personnages, c’est assez simple dans la mesure où il y avait Riko, ses parents et l’amiral pour les personnages principaux.
L’amiral existe donc je m’en suis emparé à partir du personnage existant. Par contre la petite fille, Riko, je l’ai totalement remaniée parce que le dessinateur précédent avait fait un design qui était très différent du mien. Pour son père, ils se ressemblent un petit peu puisque David voulait évoquer le comédien japonais Hiroyuki Sanada. qui à tourné dans de nombreux films à Hollywood (Le dernier Samouraï, Shogun, John Wick, Wolverine….), et qui est aussi célèbre pour son rôle d’Ayato dans San Ku Kaï. Sa mère elle, a un design assez lambda.
Pour ce qui est des gremlins, c’est assez simple, j’ai fait 8 ou 10 itérations, je sais plus, et je les ai tout simplement proposé à David et je lui ai dit «c’est toi qui choisis, c’est ton œuvre, c’est toi le scénariste, laquelle te parle le mieux ? Et ce qui est rigolo, c’est que l’on retrouve les tous premiers essais de gremlins dans les cahiers bonus en fin d’album. Ils étaient beaucoup plus trapus avec des tout petits yeux méchants. Après ça a évolué dans l’ensemble que l’on connaît maintenant à travers le sens final de David.
Les Amis de la Bande Dessinée : J’ai remarqué que tu t’es amusé à incruster quelques références dans l’album plus ou moins visibles. Indiana Jones avec le hangar empli de caisses en bois, Naruto quand Hamada mange les Ramens. Le mécanicien, lui il me fait penser à celui des Têtes Brûlées, il est chauve, costaud, et vêtu d’un marcel blanc taché de graisse.
Guillaume Leblanc : oui il y a des petits easters comme ça, par contre le mécano, si c’est le cas, je l’ai pas fait exprès mais tant mieux, j’avais jamais fait ce rapprochement. C’est marrant. C’est inconscient.
Les Amis de la Bande Dessinée : Mais il y a surtout, même si l’histoire de la BD n’a rien à voir avec celle du film de 1984, la scène du couteau dans la cuisine qui est très certainement une référence au film
Guillaume Leblanc : Oui oui, et là pour le coup, faut le mettre totalement au crédit de David, parce que c’est lui qui avait mis la scène dans le script. Oui, c’est une référence au film. Il y en a d’autres, j’ai caché quelques trucs en Japonais, à droite, à gauche pour ceux qui sauront le décrypter.
Les Amis de la Bande Dessinée : Une suite est-elle envisagée ?
Guillaume Leblanc : En fait même si on a envie avec Ankama, le tome 2 reste subordonné au succès du premier volume et ça peut se comprendre. La BD est sortie il y a à peine plus d’un mois donc c’est encore un peu tôt pour se prononcer. Mais on anticipe, on bosse sur une suite dont David est en train d’écrire le script, il fait un très beau boulot. Je ne dévoile rien mais le tome 2 va être très axé sur l’action et très dense en terme de rebondissements.
Les Amis de la Bande Dessinée : Sinon tu as d’autres projets en cours ?
Guillaume Leblanc : Non. J’ai fais un script qui se déroule dans le quartier des Olympiades à Paris qui n’a pas encore trouvé sa voie et que je cherche à remanier. C’est un diptyque avec un script de 196 planches pour le premier tome. Je ne sais pas encore exactement comment il va évoluer mais ce qui est sûr, c’est que je ne vais pas le mettre à la poubelle. En parallèle, je travaille sur d’autres scénarios pour les proposer aussi aux éditeurs. Quand tu débutes, c’est compliqué car nous sommes nombreux à tenter notre chance, il y a une grosse concurrence, en attendant on est un peu pris à la gorge, faut jouer des coudes.
Les Amis de la Bande Dessinée : Es-tu d’accord à te prêter au jeu du portrait chinois ?
Guillaume Leblanc : Avec plaisir !!
Si tu étais un super héros : Spiderman
Si tu pouvais travailler avec un auteur BD disparu : Kentaro Miura
S’il ne devait rester qu’une seule BD : Akira évidemment
La dernière BD lue : Zorro de Sean Murphy
Ton film culte : Retour vers le Futur, le premier
Ton plaisir inavouable : Je chante du Claude François
Les Amis de la Bande Dessinée : Pour conclure, as-tu un message pour tes lecteurs ou futurs lecteurs ?
Guillaume Leblanc : J’aimerais leur dire merci de s’intéresser à Guns & Gremlins et de continuer à soutenir les auteurs parce que ce sont des carrières fragiles. Sans eux on n’existe pas, donc merci à eux d’être là.
Les Amis de la Bande Dessinée : Merci beaucoup de nous avoir accordé de ton temps pour répondre à nos questions et on croise les doigts pour le tome 2 de Guns & Gremlins.
Guillaume Leblanc : Merci à vous pour votre intérêt et votre soutien !!!
Propos recueillis par : Xavier
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