Vincent Zabus : « J’aime les histoires du quotidien, teintées de romanesque »
Vincent Zabus est directeur artistique de théâtres et scénariste de bande dessinée. Auteur protéiforme, son œuvre est infusée de son humanisme et de sa poésie. Il a accepté de rencontrer Les Amis de la BD.
Les amis de la BD : Bonjour Vincent, peux-tu te présenter à nos lectrices et à nos lecteurs en quelques mots ?
Vincent Zabus : Je suis Belge, je vis près de Namur dans un village situé au bord de la Meuse. On a pu le voir dans ma bande dessinée Nos rives partagées. Je partage mon temps entre la bande dessinée et le théâtre. Je suis actif dans une compagnie qui fait du théâtre de rue (Compagnie des Bonimenteurs) et une autre pour le jeune public (Théâtre des Zygomars).

Les amis de la BD : Côté bande dessinée, cette année tu as sorti trois albums : Oscar et la dame rose (Albin Michel), Nos rives partagées (Dargaud) et Lles petits métiers méconnus (Dupuis). Quels sont les points communs entre ces trois ouvrages, hormis le scénariste ?
Vincent Zabus : Il y a un certain humanisme, notamment dans le fait de s’intéresser à des personnages du quotidien. Par exemple, dans Nos rives partagées, rien n’est inventé. L’idée était de prendre des gens de différentes générations et de montrer de quelle manière on vit selon les âges, ce qui nous affecte, ce qui nous émeut.
Les amis de la BD : C’est quelque chose qui se rapproche de ton activité théâtrale…
Vincent Zabus : En théâtre de rue, comme en théâtre jeune public, c’est effectivement ce que je fais, une manière de mettre en lumière des personnalités, qui sont, de prime abord, simplement banales, mais dans lesquelles il y a beaucoup d’émotions et où je rajoute un brin de romanesque.

Les amis de la BD : En clair, tu transformes le quotidien en véritable aventure ?
Vincent Zabus : J’essaie de faire en sorte que pour le lecteur il y ait une véritable dramaturgie et j’y fais passer de l’émotion, de proposer ma vision du monde par ce traitement romanesque du quotidien.
Les amis de la BD : Comment es-tu venu à adapter le roman Éric Emmanuel Schmitt, un album que nous avons chroniqué aux Amis de la BD, « Oscar et la dame rose ? » C’est un travail différent d’une création propre ? …
Vincent Zabus : C’est l’éditeur avec qui je travaillais chez Albin Michel qui m’a proposé le projet. Effectivement, comme l’histoire originale n’est pas de moi, j’ai travaillé sur une adaptation qui me permettait d’apporter un nouvel angle de vue au récit. J’ai imaginé une histoire qui se déroule plusieurs années après la mort du petit garçon.
Les amis de la BD : As-tu eu un retour d’Éric Emmanuel Schmitt, comment cela se passe-t-il au niveau des droits ?
Vincent Zabus : Ses romans sont aussi édités chez Albin Michel, c’était donc facile. Il suffisait de mettre en contact le responsable BD et le responsable Roman. Lorsque j’ai présenté mon point de vue à Éric, il a dit que c’était une bonne idée de ne pas avoir travaillé sur une version imagée du roman, mais d’y apporter un autre regard, avec des nouveautés.
Les amis de la BD : A-t-il eu un droit de regard sur la version finale ?
Vincent Zabus : On lui a présenté le projet totalement finalisé. Il y a fait quelques remarques, on a retouché quelques bulles ou précisé quelques éléments du dialogue. Ses remarques n’étaient pas liées à l’adaptation de son roman, mais plutôt par rapport à notre propre création. C’était intéressant.
Les amis de la BD : Comment s’est déroulé le choix de Valérie Vernay pour les dessins ?
Vincent Zabus : Avec Valérie, nous avons travaillé ensemble sur Agathe Saugrenu, une série publiée chez Dupuis. On se connaît très bien. Elle avait lu le roman d’Eric. On a discuté en amont du projet, puis je lui ai proposé un scénario avec le découpage.

Les amis de la BD : et ensuite, elle débute le travail ?
Vincent Zabus : Valérie débuté son storyboard, puis me le soumet ainsi qu’à l’éditeur. C’est une phase où je corrige encore mes textes, je propose des suggestions d’amélioration pour rendre l’ensemble plus fluide. J’y suis attentif, il est important que les lectrices ou les lecteurs ne soient pas arrêtés dans leur lecture. On travaillait par tranche de 10 pages.
Les amis de la BD : Ensuite, elle travaille sur les planches définitives, comment interviens-tu à ce moment-là ?
Vincent Zabus : Lorsque je reçois les planches, c’est un moment de pur plaisir, elles sont généralement superbes, surtout que Valérie est extrêmement forte dans l’application des couleurs. Il n’y a généralement rien à retoucher puisque tout a été réglé lors de l’étape du storyboard.
Les amis de la BD : Dans Les petits petits méconnus, tu as, là, collaboré avec 15 dessinatrices et dessinateurs différents, quelle fut la genèse de ce projet particulier ?
Vincent Zabus : Le rédacteur en chef du journal de Spirou de l’époque, Morgan di Salvia, m’avait proposé d’écrire des histoires courtes. En réfléchissant à cette demande, je m’étais fait la réflexion de travailler directement sur un concept. J’en ai donc écrit un petit paquet. Morgan trouvait que mon style était très « Spirou compatible ». Vu mon réseau, il m’a dit de me mettre en contact avec différents illustrateurs et illustratrices. On en a rassemblé que lui et moi aimions.
Les amis de la BD : Comment s’est déroulé le choix de chaque dessinatrice ou dessinateur pour lui attribuer une de tes histoires ?
Vincent Zabus : J’ai d’abord envoyé 12 récits avec le principe du « premier qui se manifeste est le premier servi ». Chacun pouvait choisir l’histoire qu’il aimait le plus. Et j’ai essayé de leur donner envie de participer à ce projet.
Les amis de la BD : Et toutes ont donc trouvé preneur…
Vincent Zabus : Oui, mais c’est comme ça que j’ai dû écrire deux histoires supplémentaires pour des dessinateurs qui étaient motivés mais qui n’avaient pas d’histoire qui correspondait à leur premier choix.
Les amis de la BD : Était-ce une évidence de compiler l’ensemble de ces histoires en album ?
Vincent Zabus : Même si j’y pensais, au départ il n’était pas prévu de réaliser un album. Avec Stéphane Beaujean, directeur éditorial, et mon éditrice Laurence Van Tricht, on se disait que cela serait bien de faire cet album. Il manquait encore un liant… c’est comme cela que La dame sans métier est arrivée. »
Les amis de la BD : Il y a encore l’affichiste qu’on retrouve à chaque nouvelle histoire…
Vincent Zabus : C’est l’autre liant de l’album. Chacun des dessinateurs et dessinatrices ont pu reprendre le personnage et l’adapter avec son propre style. Ainsi, il y avait cette histoire commune. Chaque la reprend à son compte, s’approprie ce personnage commun à toutes et à tous. C’était intéressant.

Les amis de la BD : Quel est le processus créatif pour trouver toutes ces idées de métiers originaux ? Quelle est l’inspiration de base ?
Vincent Zabus : Le principe initial était de proposer des métiers qui produisaient plutôt du lien social, une manière de faire du bien à l’autre, et surtout pas produire de l’argent ou des biens matériels. Lorsque j’ai commencé à écrire ces histoires en 2021, on sortait tout juste du Covid. Je voulais raconter des histoires un peu tendres, des aventures qui unissent les gens. Il y a plus de 20 ans, lorsque j’étais prof, j’avais demandé à mes élèves d’inventer ce type de métier. En guise d’exemple, j’avais déjà pensé Au marchand de gros mots et à L’ouvreur de portes… Pour Les petits métiers méconnus, j’ai eu 25 idées, j’en ai d’abord retenu 12 qui me paraissaient bonnes.
Les amis de la BD : Il y a un lien entre tous ces métiers proposés…
Vincent Zabus : À chaque fois, j’ai créé des situations de départ compliquées, avec une tension dramatique. Le métier devait être une aide pour la personne. J’ai varié les professions, certaines sont axées sur le verbe (Le raconteur de rue, Le souffleur de rue ou Le marchand de gros mots), pour d’autres, il y avait un cadre social dans lequel le métier apporte une solution (L’ouvreur de porte, Le réparateur de miroir). Puis, j’ai eu l’option « à la Philémon » avec Le peintre en bord de case. Le point commun à tout cela : surprendre les lectrices et les lecteurs !
Les amis de la BD : Quel a été l’accueil des lectrices et des lecteurs de Spirou, justement ?
Vincent Zabus : La restauratrice de souvenirs est l’histoire qui fait le plus réagir. Y compris chez les dessinateurs. Mais globalement, on a eu la sensation que ces histoires ne passaient pas inaperçues, notamment parce que ce sont des récits transgénérationnels.
Les amis de la BD : C’est aussi une sorte d’OVNI dans les pages du Journal de Spirou, non ?
Vincent Zabus : En venant me chercher, Morgan savait que j’allais proposer un ton différent, apporter des récits dans le registre de la fable. Ensuite, les publications étaient rares, de l’ordre de tous les deux ou trois mois pour créer cette attente. L’ensemble a été publié sur presque 3 ans.
Les amis de la BD : Il y a beaucoup de poésie dans ton esprit.
Vincent Zabus : J’ai beaucoup vu et lu Myazaki. Je ne suis pas aussi obsessionnel que lui dans le détail, mais il est important d’atteindre l’attention qu’on avait au départ. J’ai beaucoup discuté avec les différents dessinateurs/trices. J’aimerais apporter mon regard extérieur, me questionner sur le choix des couleurs, etc.
Les amis de la BD : Est-il envisageable de créer un second album sur ce principe ?
Vincent Zabus : Il y aurait de la matière, oui. On attend déjà de connaître le succès de l’album, mais c’est plutôt bien parti. Mais, cela ne serait pas forcément encore Les métiers méconnus le thème commun. Il y aurait d’autres pistes à explorer.
Les amis de la BD : L’album a tout de même du succès et bonne presse…
Vincent Zabus : J’ai même eu l’occasion de participer à l’émission Les grosses têtes avec Laurent Ruquier. L’album a eu un gros coup de boost grâce à cela. La sortie de l’album en octobre a permis également de l’installer tranquillement avant la publication des best-sellers. La stratégie a été bonne pour le faire remarquer.
Les amis de la BD : Quels sont tes projets sur le feu ?
Vincent Zabus : En janvier, je sors Le génie de la forêt avec le botaniste et biologiste Francis Hallé. Le dessin est assuré par Nicoby. J’ai également une sortie prévue chez Aire Libre avec Denis Bodart. J’ai aussi 4 ou 5 projets en cours d’écriture actuellement.
Les amis de la BD : Merci Vincent pour le temps consacré aux Amis de la BD…
Propos recueillis par Bruce Rennes
