Après la Bête, le diptyque de Franck Pé et Zidrou, voici le Diable, signé du trublion Lewis Trondheim, au scénario, et du talentueux illustrateur Alexis Nesme. El Diablo est une aventure non pas du Marsupilami, mais d’un marsupilami, ancêtre du personnage de Franquin, à l’époque des conquistadors. Humour, aventure, magie sont au rendez-vous de ce one-shot, à l’ambiance à la fois cartoonesque, dangereuse, et mystique.

El Diablo Dupuis couverture

© Dupuis – El Diablo – Lewis Trondheim & Alexis Nesme – 2024

Le jeune Jose est mousse sur le navire du terrible capitaine Santoro, un gros conquistador obnubilé par l’or. Condamné à être le repas de son équipage, alors que le bateau est perdu en mer depuis des mois, le jeune garçon s’échappe et monte le long du cordage, d’où il aperçoit enfin la terre des « Indes ». Mais il n’est pas sauvé pour autant puisqu’il servira de bouclier humain lors de l’exploration de l’île. Lorsqu’il est envoyé à la recherche d’un singe jaune, abattu par ses compatriotes, Jose fait la rencontre du marsupilami. Les destins du garçon et de l’animal seront alors liés, pendant que les Espagnols sont à la recherche de toujours plus d’or, sous la menace de tribus autochtones.

El Diablo Dupuis planche 8

© Dupuis – El Diablo – Lewis Trondheim & Alexis Nesme – 2024

Le diable s’habille en jaune et noir

Lewis Trondheim n’en est pas à sa première réinterprétation d’un personnage culte du neuvième art. S’il avait dynamité Astérix et Obélix dans l’hilarant Par Toutatis !, il a également su créer de passionnants récits autour de Mickey (Craziestadventues), Donald (Happiestadventures) ou Spirou (Panique en Atlantique). Le fort potentiel gaguesque du marsupilami ne pouvait donc être qu’un terrain de jeu idéal pour le créateur de Donjon, Ralph Azham ou Lapinot. Un potentiel comique, oui, mais pas seulement car le scénariste, même s’il fait plusieurs fois sourire son lecteur, a également saisi tout l’aspect violent et sauvage du personnage créé par Franquin. L’animal a également une dimension mystique, El Diablo pour les Espagnols, l’Esprit de la Forêt pour les autochtones, respecté et craint, comme le sera son descendant dans ses propres aventures ou celles de Spirou et Fantasio

El Diablo Dupuis planche 12

© Dupuis – El Diablo – Lewis Trondheim & Alexis Nesme – 2024

Bien que le récit de Lewis Trondheim se focalise surtout sur l’aventure de Jose et la quête d’or des Espagnols, le marsupilami est un élément clé de l’histoire, à la fois déclencheur et résolveur des péripéties de Jose. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le garçon n’a pas la vie facile dans ce nouveau monde. Bousculé, malmené, menacé d’être mangé par ses camarades, laissé pour mort, Jose ne perd toutefois pas son côté candide et profondément gentil, mais tout de même très malin, jusqu’à la conclusion du récit. Plus que dans le marsupilami ou dans le jeune protagoniste, l’esprit facétieux de Lewis Trondheim se retrouve plutôt dans les personnages secondaires, et surtout les Espagnols. Le violent idiot Ricardo et le capitaine Santoro, cupide et lourdaud, sont de véritables caricatures qui, loin de desservir le récit, lui apportent, au contraire, une réelle force comique avec les nombreux gags que leur impose le scénariste, bien aidé par l’incroyable mise en scène de son camarade dessinateur.

El Diablo Dupuis planche

© Dupuis – El Diablo – Lewis Trondheim & Alexis Nesme – 2024

La vida loca

Après Mickey’scraziestadventures et le sixième tome de Donjon Parade, Lewis Trondheim retrouve Alexis Nesme pour El Diablo. L’illustrateur parvient, avec son talent habituel, à donner vie aux personnages si particuliers du scénariste. Puisque l’auteur écrit des protagonistes franchissant régulièrement la ligne de la caricature, Alexis Nesme y va à fond avec ses humains aux têtes disproportionnées, aux faciès expressifs à outrance, aux morphologies à l’image de leurs caractères : du frêle Jose au rondouillard Santoro. Si les Espagnols ne brillent donc pas par leur charisme et leur prestance, les habitants du « Nouveau Monde » sont un peu mieux lotis, comme la belle et fière Aminata, les menaçants Incas, et bien sûr le marsupilami. Se situant entre la mignonne bestiole de Franquin et la bête sauvage de Frank Pé, le protagoniste poilu d’Alexis Nesme est très touchant et plus « humain » que jamais avec ses grands yeux expressifs et sa gestuelle toujours juste, qu’elle soit amusante ou dangereuse.

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© Dupuis – El Diablo – Lewis Trondheim & Alexis Nesme – 2024

Le trait, plein d’exubérance d’Alexis Nesme est encore accentué par ses couleurs naturelles. Gouache et crayons donnent vie à des cases magnifiques, chatoyantes, riches et lumineuses. Les décors sont somptueux, avec un côté cartoon des plus agréables, que l’on retrouve également dans la faune et la flore, notamment les délirants piranhas. L’expérience dans l’illustration jeunesse d’Alexis Nesme est évidente et contraste, dans El Diablo, avec certaines situations assez dures et tragiques, donnant à l’album une personnalité originale et passionnante. Dans la même idée, des enluminures, en haut de certaines planches, viennent joliment marquer un chapitrage implicite au récit. L’album est un plaisir permanent pour les yeux et se referme trop vite, une impression de « trop peu » que vient appuyer une narration trop rapide, manquant de subtilité dans son déroulement, avec des péripéties se résolvant trop facilement, menant à un dénouement trop brutal.

El Diablo Dupuis planche 25

© Dupuis – El Diablo – Lewis Trondheim & Alexis Nesme – 2024

El Diablo aurait clairement mérité une plus grande pagination, voire un découpage en deux albums, afin d’atténuer son côté suite de péripéties, de poser plus sereinement son ambiance et sa superbe poésie, et, bien sûr, de profiter plus encore des incroyables planches d’Alexis Nesme. L’album n’en reste pas moins une belle réussite, originale, captivante, drôle et visuellement superbe. Lewis Trondheim joue parfaitement à l’équilibriste entre humour et aventures teintées de fantastique et, malgré un final un peu abrupt, El Diablo est une pierre originale, à la fois sombre et lumineuse, de l’édifice du Marsupilami.

Une chronique écrite par : Cédric « Sedh » Sicard

El Diablo Dupuis planche 42

© Dupuis – El Diablo – Lewis Trondheim & Alexis Nesme – 2024

Informations sur l’album :

  • Scénario : Lewis Trondheim
  • Dessin : Alexis Nesme
  • Couleurs : Alexis Nesme
  • Éditeur : Dupuis
  • Date de sortie : Le 8 novembre 2024
  • Pagination : 64 pages en couleurs

© Dupuis – El Diablo – Lewis Trondheim & Alexis Nesme – 2024

© Dupuis – El Diablo – Lewis Trondheim & Alexis Nesme – 2024

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