Rétro - Le Scrameustache tome 29 : Le président galaxien

LE JURISTE : Je souhaite être confronté à lui lors de nouvelles élections au « suffrage universel » comme cela se fait sur la Terre.

KHÉNA : Holàlà ! Eh bien, je vous souhaite bien du plaisir !

Le Scrameustache tome 29 Le président galaxien couverture

En 1997 sortait le tome 29 du Scrameustache, série de science-fiction légendaire et fondatrice créée en 1972 par Gos (Roland Goossens) dans le beau journal de Spirou. Cet album fait figure en quelque sorte de hors-série, Khéna et le célèbre petit extraterrestre aux traits félins faisant office de seconds rôles. Les véritables stars sont ces petits êtres verts à la bouille ronde surmontée d’une antenne à boule rouge, et arborant un costume seulement différencié par sa couleur et le logo figurant sur sa partie ventrale.

Les galaxiens sont au Scrameustache ce que les Schtroumpfs sont à Johan et Pirlouit : apparue dans l’album 6 (La Fugue du Scrameustache), la peuplade de petits hommes verts déclenche presque immédiatement l’attachement du lecteur avec leur caractère espiègle et leur bonhommie toute particulière. À la différence des lutins bleus de Peyo, ils n’auront pas droit à un spin-off entièrement dédié, mais auront tout de même les honneurs d’albums consacrés à leur petite société lunaire, jusqu’à une série de gags dans l’album 25 (Le Bêtisier galaxien) marquant une pause humoristique dans les aventures intergalactiques trépidantes de Khéna et le Scrameustache.

Quand les extraterrestres s’inspirent de nous…

Dans Le Président galaxien, le lecteur est plongé dans les arcanes politiques déjà abordées dans Le Prince des galaxiens (tome 10). Un an a passé depuis la sélection au mérite du dernier Prince. Le moment est venu de laisser le grand ordinateur faire ses calculs et désigner le successeur. Las, un virus (informatique) s’invite à la fête, qui va, forcément, être gâchée. Khéna, en bon stratège politique, propose une alternative, une sorte de jeux olympiques qui auront l’avantage, d’une part de sélectionner un vainqueur, et d’autre part d’offrir un beau spectacle aux galaxiens déçus. À l’issue des épreuves, l’ordinateur se remet de son virus et désigne un prince. Le conseil des sages se retrouve donc avec deux prétendants à la fonction suprême : le gagnant des épreuves sportives et le résultat des algorithmes – évidemment, aucun des deux ne compte lâcher l’affaire. Dernier ressort : le suffrage universel…

Le Scrameustache tome 29 Le président galaxien planche 3

Pour la première fois seul aux manettes, Walt, fils de Gos et crédité au générique depuis le numéro 12, ne résiste pas à la tentation de parodier le système démocratique terrien, qualités et défauts compris. Le scénario de Walt fait appel à tous les poncifs propres à notre système démocratique terrien : le débat télévisé, la guerre d’affichage, la distribution des tracts, la publication de journaux de propagande, le débauchage de spin doctors, le « conseil des sages »… Tout y passe et c’est peut-être là le défaut de toutes ces qualités : l’espace restreint de 44 planches était-il idéal pour réellement approfondir le sujet et le rendre réellement significatif ?

La démocratie en 44 planches

Même si le message passe de manière (trop) efficace, le sentiment reste que Walt a probablement voulu trop en faire dans le temps imparti et que l’avalanche d’informations donne une impression d’inachevé ou, pire, de facilité : le scénario ne dévie pas d’une miette du processus électoral terrien classique, agrémenté tout de même, et heureusement, de l’intrigue secondaire concernant Khéna. Reste évidemment que la série s’adresse principalement à des (pré)adolescents qui s’amuseront de l’avalanche de catastrophes et, pourquoi pas, parleront avec leurs parents des parallèles évidents à faire avec le système démocratique de nos belles contrées terriennes occidentales. Comme critique subtile des démocraties modernes, l’album paraîtra un peu léger. Comme première base en éducation civique, c’est tout-à-fait valable, voire assez intéressant.

Le Scrameustache tome 29 Le président galaxien planche 5

Sur la forme pure et simple, le graphisme de Gos, authentique produit de Marcinelle et affichant une filiation évidente avec Peyo, est perpétué impeccablement par Walt, qui a été à bonne école. L’écriture des dialogues laisse bien apparaître quelques défaillances mineures (les Holàlà, les Bon, les Ben, et les Bon ben… se faisant un peu trop fréquents, surtout dans la bouche des anciens dont la sagesse aurait justifié une élévation du registre), mais l’impression globale reste largement positive pour ce premier essai en solo de Walter Goossens.

Ce volet atypique des aventures de Khéna, le Scrameustache et leur petits amis verts prend évidemment une dimension particulière, presque 30 ans après sa sortie, au beau milieu d’une crise démocratique qui ne fait que s’aggraver. Le lecteur adulte ne peut que constater avec impuissance que les travers de notre système ne datent pas d’hier, et que parfois la caricature s’avère bien plus réelle que le modèle.

Une chronique écrite par : Philippe Barre

Informations sur l’album :