Singleton : rendez-vous au pélican vert

Essentiellement connu pour les aventures de Bob Morane, Henri Vernes a été un auteur des plus prolifiques dont les œuvres ont toujours été teintées d’aventure, d’espionnage et d’exotisme. C’est une de ses œuvres méconnues, un roman-feuilleton publié dans le journal La Dernière Heure, qu’Alain De Kuyssche et Elisabetta Barletta ont adapté en bande dessinée aux Editions du Tiroir.

Meilleur agent de l’Intelligence Service britannique, Singleton est chargé de démanteler un réseau d’espions nazis dirigé par le redoutable Von Low, l’homme aux yeux morts. De Shanghaï à New York, Singleton devra se confronter à de nombreux ennemis et obstacles tout en essayant de déjouer le double-jeu de ceux qu’il croit être ses alliés.

Singleton : l’agent secret contre tout guerrier

L’action ne manque pas dans cet album où les occasions de bagarres et de fusillades sont nombreuses. Cet enchaînement donne un rythme dynamique à l’ensemble, où les péripéties s’enchaînent, souvent entrecoupées de quelques scènes amoureuses. Nombreux seront évidemment les lecteurs qui trouveront cela digne d’un film de James Bond, tellement ces astuces narratives sont certes classiques mais toujours efficaces.

En plus de ressembler au personnage de Ian Fleming, Robert Barney Singleton préfigure celui du style de héros aventurier doué pour la bagarre qu’Henri Vernes affectionne tant. L’antagoniste porte lui aussi la marque de fabrique des personnages de Bob Morane car le fameux “espion aux yeux morts” est doté d’un trait et d’un surnom qui le caractérise et le rend iconique. Il est cependant dommage que le premier remplit juste sa fonction archétypale d’homme d’action et de redresseur de tort sans véritable profondeur ou enjeu émotionnel et que le second s’avère n’être pas si dangereux qu’espéré et n’être que la marionnette d’une conspiration plus vaste.

Singleton Rendez-vous au pélican vert planche 5

Le récit est riche en rebondissements et en révélations quand chaque personnage peut en vérité jouer un double jeu, une mécanique narrative typique du genre d’espionnage où un allié s’avère être un ennemi et vice-versa. Singleton doit donc savoir se montrer habile pour démêler le vrai du faux et éviter les pièges afin de réussir sa mission. L’aboutissement de celle-ci laissera cependant le lecteur sur sa faim car la révélation finale et ses conséquences sont très vite expédiées sans être approfondies ni impactantes.

Que cela soit dû à Henri Vernes ou à Alain De Kuyssche, les références à des événements historiques véridiques ainsi qu’à des personnages de la littérature populaire des années 30-40 témoignent d’une certaine érudition qui vient enrichir le fond et l’ambiance du récit. Le lecteur connaisseur verra aussi les quelques clins d’œil aux personnages cultes d’Henri Vernes, même s’ils sont un peu trop explicites.

Uppercut dans la bulle

L’action et le rythme étant au cœur de cet album, le trait d’Elisabetta Barletta se veut simple et efficace. Cela se démarque particulièrement dans les cases de bagarres ou d’actions avec des lignes qui retranscrivent bien les impacts des coups de poings ou des balles.

Ce parti pris graphique ne fonctionne cependant pas avec les décors et de temps à autre les personnages. L’impression qu’il en ressort est qu’il s’agit d’une ligne claire qui essaie d’atteindre le niveau d’un dessin plus réaliste en rajoutant quelques lignes pour paraître plus fouillé mais vide. Celui-ci est aussi ressenti avec des cases en plan rapproché des personnages où le décor est absent alors qu’il est présent la case suivante ou précédente.

Singleton Rendez-vous au pélican vert planche 3

Pour ce qui est des personnages, même s’ils gardent des traits marqués qui permettent de les différencier, il est constant que leurs visages ont été tracés hâtivement au point que les lecteurs auront du mal à les reconnaître tout de suite. Cela est d’autant plus flagrant pour les personnages historiques intervenant dans le récit qui ne sont pas toujours aisément reconnaissables tout de suite alors qu’ils ont une tête bien marquante et connu du grand public.

En reprenant une histoire imaginée par Henri Vernes, Alain De Kuyssche et Elisabetta Barletta ont transposé un récit d’espionnage avec des codes biens convenus du genre et des personnages les plus archétypaux possibles. Même si cet album ne se démarque pas par ses choix narratifs et graphiques, il plaira ou intéressera surtout les fans d’Henri Vernes qui y verront les prémices du style des aventures de Bob Morane, même si l’œuvre est destinée à un public plus adulte.