Le Paris des Dragons

Joann Sfar et Tony Sandoval, au basketball, on appellerait ça une « dreamteam ». En bande dessinée, c’est la promesse d’un album hors du commun : l’univers décalé du Français mis en images par le génial mexicain. Le Paris des Dragons, one shot publié chez Glénat, c’est donc la rencontre inédite, exubérante et fantastique de deux artistes ultra créatifs dans un récit à la folie qui s’annonce omniprésente.

Le Paris des dragons Joann Sfar et Tony Sandoval couverture

Paris,1900 tout rond. Un moinillon du Moyen-âge revient à la vie parce que les dragons semblent se réveiller. La faute à une Sirène pas vraiment décidée à se laisser sacrifier pour calmer le roi des grandes bestioles. Avec l’aide d’une princesse hawaïenne, boxeuse, surfeuse et joueuse d’ « houkoulélé » pour ses potes requins, et de l’épée apparemment magique qui devait lui ôter la vie, la femme-poisson va plutôt partir à l’aventure pour botter ce qui sert de cul à quelques dragons et, accessoirement, sauver Paris.

Le Paris des dragons Joann Sfar et Tony Sandoval planche 8

« Même si on survit que dix minutes, ça valait le coup »

Quelques mois après son premier tome de Reines et Dragons, l’auteur illustrateur Joann Sfar retrouve les gros reptiles ailés placés dans un scénario où l’absurde est roi. Dans ce registre, le papa du Chat du rabbin ou de Petit Vampire n’a plus rien à prouver. Avec ses cartouches narratifs omniprésents mais jamais envahissants, notamment grâce à un humour au vitriol, et ses dialogues aux punchlines anachroniques ultra efficaces, Sfar livre un scénario tout simplement jouissif dans lequel tout peut arriver. Comme souvent chez l’auteur, au bout de quelques pages, le lecteur sait en effet qu’il ne peut s’attendre qu’à l’inattendu. Les amateurs de pragmatisme risquent d’être quelque peu mis de côté par cet enchaînement de scènes loufoques, mais l’histoire suit sa propre logique et ne déstabilisera jamais le lecteur qui adhérera à la folie ambiante.

Le Paris des dragons Joann Sfar et Tony Sandoval planche 16

Une autre grande force de Joann Sfar, tout au long de sa riche bibliographie (plus de 200 ouvrages), est indéniablement son talent à construire ses protagonistes : Petit et Grand Vampire, Zlabya, son rabbin de père et leur chat, Merlin, le Gardien du Donjon et ses acolytes, Aspirine, Socrate le demi-chien et tant d’autres.… Dans le Paris des Dragons, comme dans Reines et Dragons d’ailleurs, presque aucun personnage n’est nommé. Plusieurs protagonistes peuvent se partager le statut de rôle principal : le moinillon millénaire qui est particulièrement lié aux dragons, la princesse hawaïenne Kapa’akea qui est l’archétype du bourrin de service, ici féminisé, dans les histoires fantastiques, mais c’est la Sirène qui se démarque particulièrement par son mélange de fragilité et de confiance en elle presque arrogante.

Le Paris des dragons Joann Sfar et Tony Sandoval planche

« J’ai une tête à survivre, moi ? »

Si les protagonistes nés de la plume de Joann Sfar sont passionnants, l’illustrateur Tony Sandoval leur donne tout le charisme qu’ils méritent. En une trentaine de livres, le mexicain a développé et perfectionné un univers graphique très personnel : personnages féminins sensuels sans vulgarité, aux yeux très écartés et têtes surdimensionnées, des visages ultra expressifs aux regards intenses, des corps longilignes presque désarticulés ou, au contraire, tassés et raides, ou encore un trait tremblant qui n’est pas sans rappeler celui de Joann Sfar… Dans le Paris des Dragons, son trait se marie parfaitement à l’ambiance du scénario, le visuel de chaque protagoniste participe à la folie de sa caractérisation narrative, rivalisant pour savoir lequel sera le plus charismatique. Et, une nouvelle fois, mention spéciale à la Sirène, parfait mélange entre jeune fille Sfarienne et Sandovalienne avec ses longs cheveux roux (Sfar) et l’exubérance de ses fasciés (Sandoval).

Le Paris des dragons Joann Sfar et Tony Sandoval planche 24

Les dragons, au centre des enjeux du récit, sont, eux aussi, parfaitement maîtrisés par Sfar et Sandoval, avec des personnalités et graphismes variés et aboutis. Niveau décors, l’illustrateur mexicain a toujours également su briller par ses ambiances. Si de nombreuses cases ont des fonds minimalistes afin de mettre en avant les personnages et leurs réactions, les paysages et bâtiments parisiens, notamment Notre-Dame, s’intègrent parfaitement au récit, entre réalisme et folie. Les couleurs, également assurées par Tony Sandoval, suivent cette même logique de dualité. Chaque personnage possède sa gamme et son style, de la lumineuse Sirène à la sombre Kapa’akea en passant par le moinillon et sa bonne tous deux dans des tons ternes. Enfin, impossible de ne pas évoquer les deux sublimes aquarelles qui surgissent dans les planches : de véritables chefs d’œuvres d’ambiance fantastique.

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Quand l’univers déjanté de Joann Sfar rencontre le graphisme tout autant barré de Tony Sandoval, le tout avec une sirène qui tatane du dragon, l’œuvre issue de cette rencontre, à la fois inédite et évidente, ne peut évidemment être que spéciale. Pari réussi pour les deux artistes qui proposent un one-shot passionnant et déjanté, aux protagonistes charismatiques, à l’effet de surprise permanent, aux dessins superbes.

Chronique écrite par : Cédric « Sedh » Sicard