1629, ou l’effrayante histoire des naufragés du Jakarta, tome 2 : L’île rouge
Jusqu’où l’appât du gain, le fanatisme, la peur, peuvent pousser l’être humain au-delà de l’horreur ? Avec 1629, ou l’effrayante histoire des naufragés du Jakarta, tome 2, le scénariste Xavier Dorison, le dessinateur Thimothée Montaigne et la coloriste Clara Tessier nous plongent dans ce que l’homme a de plus abject. Après un tome en pleine mer, la fin du diptyque de Glénat prend place sur un petit bout de sable et de rochers, perdu dans l’Océan Indien, où événements tragiques et violents se succèdent au gré de la folie d’un homme : Jéronimus Cornélius. Le plus atroce ? Tout, ou presque, est vrai, et même édulcoré.

© 1629, tome 2 – Xavier Dorison, Thimothée Montaigne, Clara Tessier – Glénat, 2024
Après le naufrage du Jakarta qui concluait le premier tome, deux cents survivants se retrouvent sur une île déserte n’offrant ni eau ni nourriture. Seule bonne nouvelle, le terrible Jéronimus Cornelius est disparu en mer. Du moins, c’est ce qu’espéraient la riche passagère Lucrétia Hans et le gabier Wiebbe Hayes. Tous deux avaient, en effet, eu connaissance des crimes du terrible Cornélius à bord du Jakarta, sans hélas pouvoir les prouver. Hélas, la gangrène ne s’efface pas aussi facilement, et le diable reviendra des enfers pour mener d’une main de fer et de sang la communauté de plus en plus fragile.

© 1629, tome 2 – Xavier Dorison, Thimothée Montaigne, Clara Tessier – Glénat, 2024
L’horreur a un nom…
Jéronimus Cornélius. Sans doute l’un des méchants les plus terrifiants du neuvième art. Et pourtant bel et bien réel. Ancien apothicaire hollandais, ruiné, il se met au service de la VOC, la compagnie néerlandaise des Indes Orientales. Son premier voyage, en tant que négociant en second, se fait à bord du Batavia en octobre 1628. Le Batavia est renommé le Jakarta dans la bande dessinée 1629. Au cours du long voyage vers Java, Cornelius organise, avec d’autres marins, une mutinerie qui sera interrompue par le naufrage du navire. Ce qui suit fut effroyable, comme le décrit le scénario du prolifique et talentueux Xavier Dorison, et même pire encore. L’auteur a, en effet, choisi de taire certaines atrocités commandées par Cornélius, chargé de commander les rescapés. Le lecteur échappe ainsi aux viols collectifs, tortures, ou autres massacres d’enfants.

© 1629, tome 2 – Xavier Dorison, Thimothée Montaigne, Clara Tessier – Glénat, 2024
Le récit de Xavier Dorison comporte, pour autant, son lot de violence. Séducteur, charismatique, et même magnétique, Jéronimus Cornélius est à la fois attirant et repoussant. Grand créateur de personnages forts, tout au long de son impressionnante bibliographie *, Dorison ne pouvait qu’être captivé par ce tyran, et il en livre une version à la fois presque mystique et bassement pathétique. De ses beaux discours héroïques à ses manigances sanglantes, tout bascule lorsque éclate, aux yeux de tous, la noirceur de son âme. Mais trop tard. Car ce qui est au centre du récit de 1629, c’est bien de comprendre comment une poignée d’hommes, menés par un fou sanguinaire, a pu autant avoir la main mise sur des personnes beaucoup plus nombreuses qui auraient pu maîtriser leurs tortionnaires assez facilement. Peut-être le scénariste y voit-il une allégorie sanglante de notre propre civilisation moderne.

© 1629, tome 2 – Xavier Dorison, Thimothée Montaigne, Clara Tessier – Glénat, 2024
L’horreur a un visage…
Avec un tel antagoniste, et de tels faits historiques, Xavier Dorison use de tout son talent pour livrer un thriller captivant, véritable « page-turner » du début à la fin, que ce second tome vient conclure de brillante manière. Face à Cornélius, Lucrétia et Hayes, même si ce dernier se fait plus rare que la dame, sont loin de faire pales figures. La riche lady s’impose rapidement comme une femme forte et résolument moderne, l’une des seules à tenir tête, tant bien que mal, au tyran de l’île. Ses épaules, frêles d’apparence, supporteront pourtant une pression énorme face au chantage de Cornélius. Les autres personnages, bien que secondaires, sont suffisamment bien construits pour être des acteurs crédibles d’un scénario impitoyable, cruel et radical. Un récit qui sait également être surprenant tant les nouvelles horreurs semblent plus incroyables les unes que les autres dans ce huis-clos à ciel ouvert prolongeant un huis-clos en pleine mer. Le cadre change mais la tension reste présente, s’intensifiant même à chaque planche.

© 1629, tome 2 – Xavier Dorison, Thimothée Montaigne, Clara Tessier – Glénat, 2024
Pour mettre en image cette tragédie, Xavier Dorison retrouve Thimothée Montaigne, son camarade de jeu sur Long John Silver. S’il était impressionnant dans le premier tome maritime, avec ses navires sublimes et ses ambiances de tempêtes immersives, le dessinateur relève parfaitement ce nouveau défi, plus minimaliste, d’une île sans relief ni végétation. Ici, aucun artifice n’est possible pour créer une atmosphère oppressante et Thimothée Montaigne remplit sa mission avec brio. La « demeure » de Cornélius est, à ce titre, une grande réussite de l’album, imposant et majestueux amas de bouts d’épave. La puissance narrative des personnages est, de même, parfaitement amplifiée par leur graphisme, du charisme du trio principal aux « gueules de l’emploi » des féroces mutins et des rescapés effrayés et affaiblis.

© 1629, tome 2 – Xavier Dorison, Thimothée Montaigne, Clara Tessier – Glénat, 2024
Ange ou démon, le visage malléable selon les circonstances, de la froideur impitoyable jusqu’à la déraison, Cornélius est aussi captivant sous le pinceau de Thimothée Montaigne que sous la plume de Xavier Dorison. Fond et forme se complètent à merveille pour faire du psychopathe un personnage qui marquera, assurément pour longtemps, les lecteurs. La mise en scène sans concession du dessinateur traduit parfaitement les horreurs du récit, suggérant plus qu’elle ne montre, comme pour souligner l’insoutenabilité des événements, parfaitement soutenue par les couleurs impeccables de Clara Tessier, loin d’être avare en teintes rouges. Pour sa première réalisation, la jeune coloriste est impressionnante, et clairement un nom à suivre à l’avenir.

© 1629, tome 2 – Xavier Dorison, Thimothée Montaigne, Clara Tessier – Glénat, 2024
Récit dur, sadique et, pourtant, atténué par rapport aux faits historiques, 1629, ou l’effrayante histoire des naufragés du Jakarta se conclut sur un second tome captivant porté par des personnages charismatiques au centre d’une tragédie humaine impitoyable. Scénario et dessin sont au service l’un de l’autre dans la communion intense d’une histoire beaucoup moins classieuse que les sublimes couvertures dorées des deux albums. Un travail luxueux sur l’objet livre qui se retrouve dans les magnifiques gravures ouvrant chaque chapitre, qui font du diptyque une œuvre déjà majeure du neuvième art.
Une chronique écrite par : Cédric « Sedh » Sicard

© 1629, tome 2 – Xavier Dorison, Thimothée Montaigne, Clara Tessier – Glénat, 2024
Informations sur l’album :
- Scénario : Xavier Dorison
- Dessin : Thimothée Montaigne
- Couleurs : Clara Tessier
- Éditeur : Glénat
- Date de sortie : Le 13 novembre 2024
- Pagination : 144 pages en couleurs

© 1629, tome 2 – Xavier Dorison, Thimothée Montaigne, Clara Tessier – Glénat, 2024

© 1629, tome 2 – Xavier Dorison, Thimothée Montaigne, Clara Tessier – Glénat, 2024
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