Deux ans après son remarqué et remarquable Les Vies de Charlie, édité par Dupuis, Aurélie Guarino arrive chez Grand Angle pour un nouveau one shot, La Nuit est Belle. Dans sa virée nocturne elle est accompagnée par David Graham, nouveau venu dans le neuvième art *.
© La Nuit est belle – Graham/Guarino – Grand Angle, Bamboo – 2025
Deux inconnus ratent leur avion. Prochain départ le lendemain matin, alors, puisqu’ils sont à Paris pour une nuit, autant aller se promener. Lors d’une incursion illégale au Père Lachaise, ils tombent sur Oscar Wilde, ou plutôt son « quasi-fantôme », puis, hélas, sur la police. Pendant leur fuite, le jeune homme se blesse et le trio se retrouve dans une pharmacie… sur le point d’être incendiée par sa patronne, blasée au possible. La virée nocturne infernale continue à quatre. Heureusement que la nuit est belle.
© La Nuit est belle – Graham/Guarino – Grand Angle, Bamboo – 2025
The Fabulous Four
On pourrait s’en douter dès la couverture qui présente et qualifie les quatre protagonistes, la grande force de La Nuit est Belle réside en ses personnages. Radicalement différents les uns des autres, ils sont tous très attachants à leur manière – attachants et tellement humains. En ne donnant pas de noms à trois d’entre eux, le scénariste David Graham renforce l’empathie que le lecteur et la lectrice peut ressentir envers eux et ce qu’ils représentent, et surtout un fort sentiment d’identification.
Lui, c’est l’impossibilité apparente de tourner la page, d’assumer son passé pour construire son futur. Pour elle, ce sont les regrets qui hantent, la culpabilité qui pèse et qu’on ne parvient pas à laisser derrière, même en changeant de vie et de continent. La pharmacienne est plus radicale : à elle l’envie de tout envoyer valser dans les flammes, le ras-le-bol qui pousse au pire. Ces trois anonymes, c’est chacun d’entre nous, ce que chaque lecteur et chaque lectrice ont déjà traversé, ou traversent actuellement.
Le quatrième protagoniste est un peu particulier. Le quasi-fantôme d’Oscar Wilde, et on vous laisse le plaisir de découvrir la raison du « quasi », apporte une touche surnaturelle et absurde au récit. Un choix qui pourrait paraître étonnant, mais l’aventure nocturne du duo principal étant déjà parsemé de moments assez improbables et exagérés, la présence de feu l’écrivain permet de faire accepter les petites bizarreries du scénario. Mais pourquoi la police ne met pas tout en œuvre pour retrouver les fuyards ? Bof, il y a bien un fantôme, alors pourquoi pas ?
© La Nuit est belle – Graham/Guarino – Grand Angle, Bamboo – 2025
Déraisons et sentiments
Oscar Wilde est également une (étonnante) voix de la sagesse dans La Nuit est Belle. Auteur des profondeurs humaines, il connaît les ressorts des sentiments, mais aussi des regrets et des frustrations, issus de sa vie… vivante. Ainsi il apporte un aspect presque « feel good » au récit, en interrogeant et bousculant régulièrement ses trois compagnons, leur montrant l’importance de régler les problèmes, au lieu de les fuir.
C’est toutefois l’humour qui prime dans l’album. L’éventail comique est très large dans le scénario de David Graham qui montre, en effet, autant d’aisance dans les situations absurdes que dans les dialogues truculents. Ces derniers concernent notamment les « punchlines » de l’acerbe pharmacienne, un personnage qui, à l’image de ses trois camarades, ne possède pas une grande richesse narrative mais se révèle être d’une efficacité implacable dans sa fonction.
Même la presque inévitable romance entre les deux jeunes et jolis héros parvient à être pertinente, sans jamais tomber dans la facilité ou la lourdeur. Au contraire, elle offre des instants suspendus dans le temps entre deux péripéties. Il faut dire que la cadence de la virée nocturne est intense, au rythme effréné du tube des Avions, « Nuit Sauvage » dont le refrain a inspiré le titre de l’album, et qui a la presque fâcheuse tendance à rester en tête longtemps après avoir refermé La Nuit est Belle.
© La Nuit est belle – Graham/Guarino – Grand Angle, Bamboo – 2025
Paris est magique
Avec un récit absurde, rythmé et teinté de fantastique, Aurélie Guarino semble une évidence pour la mise en image de l’aventure, après son génial travail sur le non moins génial Les Vies de Charlie. Une évidence qui se confirme tout au long de l’album tant ses planches sont un régal pour les yeux, comme pour les zygomatiques. La mise en scène de l’illustratrice est dynamique dans les scènes d’action, mais aussi dans les gags visuels qu’elle maîtrise à la perfection avec un sens de la mise en scène précise et cinématographique.
Lors des moments plus calmes, elle sait également poser sa « caméra », afin de saisir au mieux l’ambiance de l’instant : plans larges lorsque les personnages semblent perdus dans leur attente, cadrages plus resserrés lorsqu’il faut saisir l’émotion du ou des protagonistes. Là aussi les acteurs de l’histoire sont une grande réussite, avec leurs bonnes trognes ultra expressives et, pour la pharmacienne et Wilde, un physique exagéré, accentuant leur aspect comique.
Comme c’était le cas lors de ses précédentes publications, Aurélie Guarino assure elle-même la colorisation de ses planches. Après les palettes très pop de Namasté et Défense d’entrer, et le noir et blanc très doux, régulièrement troublé par un magnifique travail à l’aquarelle, sur Les Vies de Charlie, la dessinatrice semble prendre le meilleur de ces titres et propose une superbe mise en couleurs, à la fois douce et pleine de vie, faisant la part belle aux ambiances très riches de l’intrigue.
© La Nuit est belle – Graham/Guarino – Grand Angle, Bamboo – 2025
SI on voulait mettre une étiquette sur La Nuit est Belle, ce pourrait être « comédie d’action romantico-fantastique feel-good ». David Graham mêle en effet les genres dans sa première bande dessinée, et avec brio. Impossible de s’ennuyer dans cette aventure, un peu cousue de fil blanc mais tellement drôle, haletante et efficace. Le scénariste de permet même une réécriture, totalement fausse mais bien marrante, de l’anecdote, totalement vraie pour le coup, des bisous sur la tombe d’Oscar Wilde au Père Lachaise. Servi par le dessin à la fois plein de sensibilité et d’exubérance d’Aurélie Guarino, le titre édité par Grand Angle est une réussite à tous niveaux et une lecture réellement jouissive dont on ressort avec la banane !
* Derrière le pseudonyme de David Graham se cache Julien Frey, scénariste depuis 2014, à qui l’on doit récemment les fabuleux Monsieur Apothéoz (Vents d’Ouest, 2022) et White Only (Vents d’Ouest, 2025) ou encore le très original Les Salamandres (Drakoo, 2025).
Chronique écrite par : Cédric « Sedh » Sicard
© La Nuit est belle – Graham/Guarino – Grand Angle, Bamboo – 2025
Informations sur l’album :
- Scénario : David Graham
- Dessin : Aurélie Guarino
- Couleurs : Aurélie Guarino
- Éditeur : Grand Angle
- Date de sortie : Le 30 avril 2025
- Pagination : 96 pages en couleurs
© La Nuit est belle – Graham/Guarino – Grand Angle, Bamboo – 2025
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