Bienvenue dans l’Orne, ses villages authentiques, sa campagne apaisante, son cidre goûteux, ses petits vieux qui meurent dans l’oubli le plus total…
Gilles, maire du petit village de Courteville, dans le département normand de l’Orne, est inquiet pour ses citoyens les plus âgés. En ce mois d’août 2022, la Covid n’est pas encore qu’un souvenir et la canicule frappe durement. Alors, l’élu décide de contacter chaque ancien afin de voir si tout va bien. Mais Albertine Buisson ne répond pas. Pourtant, la belle-fille de la vieille dame, membre du conseil municipal, se veut rassurante. Bien que fâchée avec sa belle-mère depuis une quarantaine d’années, son mari lui a affirmé que la celle-ci se portait bien et qu’il continuait de lui faire ses courses et régler ses factures. Mais Gilles sent bien que quelque chose cloche.
© Albertine a disparu – Guerrier/Vignolle/Bizzarri – Glénat, 2025
True crime or not true crime ?
Bien qu’avec des noms modifiés, Albertine a Disparu raconte un fait divers bien réel. Le 30 août 2022, le village de Bretoncelles, dans l’Orne, est en émoi. Le corps d’Albertine Haye, née en 1923, est retrouvé à son domicile. Ou plutôt des restes d’ossements qui se révéleront, après analyses, être ceux d’Albertine. La veille, le maire du village, inquiet de n’avoir eu aucune nouvelle de son administrée avait pénétré son domicile, avec des gendarmes, sans trouver trace d’Albertine. Il faut dire que la vieille dame était morte depuis cinq à dix ans et que son fils gardait le silence.
© Albertine a disparu – Guerrier/Vignolle/Bizzarri – Glénat, 2025
Ce fait divers étonnant a eu un petit retentissement national, mais c’est surtout le journal Le Perche qui, en modifiant les noms des protagonistes de l’affaire, se révèle être une source détaillée de l’histoire post mortem d’Albertine. Lui-même journaliste au Perche lors des faits, Vincent Guerrier signe avec ce récit sa première bande dessinée, accompagné de François Vignolle, ancien grand reporter spécialisé dans la justice et la police aujourd’hui directeur de la rédaction sur RTL, auteur de plusieurs essais et co-scénariste de la BD les Bijoux de la Kardashian (Glénat 2019)
© Albertine a disparu – Guerrier/Vignolle/Bizzarri – Glénat, 2025
Malgré quelques éléments romancés et des noms, là aussi, modifiés, par rapport à la réalité ou même aux noms choisis par le journal le Perche, les deux scénaristes se servent de leur expérience journalistique pour livrer un récit réaliste. Albertine n’est pas vraiment un polar ou un thriller rural, puisque toute l’explication, ou presque, est connue de tous très rapidement, mais plutôt un docu-fiction assez fidèle. Le nom de famille Buisson se rapporte même à un hameau voisin de celui du domicile d’Albertine.
© Albertine a disparu – Guerrier/Vignolle/Bizzarri – Glénat, 2025
C’n’est pas la fête au village dans Albertine a disparu
Avec ce ton très réaliste et journalistique choisi par les auteurs, le récit d’Albertine a Disparu est tout en sobriété. Pas de place pour le burlesque ou le bucolique qu’on peut trouver parfois dans les fictions rurales. Ici la narration est froide, cartésienne, portée par les interrogations du maire Gilles et ses interactions avec ses administrés, notamment Roselyne, la belle-fille d’Albertine. C’est même une plongée, peu profonde, certes, mais bien réelle, dans le monde rural français du vingt-et-unième siècle, non plus agricole mais tout de même vieillissant, où tout le monde se connaît, ou, du moins, croit se connaître. On y évoque la solitude des personnes âgées, les non-dits, les querelles familiales faites de ressentiments et de silences.
© Albertine a disparu – Guerrier/Vignolle/Bizzarri – Glénat, 2025
Ainsi, si l’intrigue n’est, en elle-même, jamais vraiment captivante, car portée par un aucun réel suspense ni une quelconque tension, Albertine a Disparu est finalement une lecture vraiment passionnante. Un long fleuve tranquille que vient rompre un événement exceptionnel qui retourne tout le village. Les auteurs ont été à la rencontre d’habitants de Bretoncelles et retranscrivent leurs témoignages, soulignant encore un peu plus le ton journalistique de l’album.
Vincenzo Bizzarri apporte le même soin documentaire à ses décors. Le portail présent sur la couverture est exactement celui de la demeure d’Albertine Haye, en dehors du numéro sur la boîte aux lettres. Que ce soit dans les extérieurs du village ou les intérieurs des maisons ou administrations, les environnements sont réalistes au possible. L’illustrateur italien propose toutefois des personnages plus caricaturaux, tantôt avec de longs nez, tantôt avec des corps exagérés, même si le maire Gilles ressemble beaucoup à son modèle, Daniel Chevée. Bien qu’aux styles assez antinomiques, les acteurs et les décors se fondent merveilleusement bien dans un ensemble étonnamment cohérent, notamment grâce aux couleurs sobres de Vincenzo Bizzarri.
© Albertine a disparu – Guerrier/Vignolle/Bizzarri – Glénat, 2025
Présenté par Glénat comme un polar social, Albertine a Disparu se savoure surtout comme un récit presque journalistique d’un fait divers étonnant. Pas de suspense ni de grande révélation dans cette histoire au ton réaliste et aux personnages tangibles au possible. Mais un one shot qui se dévore avec un grand intérêt. Quand la réalité est à ce point déroutante, nul besoin d’artifices fictionnels grandiloquents pour la rendre passionnante. Pari réussi, aussi bien scénaristiquement que visuellement, pour le trio Vincent Guerrier, François Vignolle et Vincenzo Bizzarri.
Une chronique écrite par : Cédric « Sedh » Sicard
Informations sur l’album Albertine a disparu :
- Scénario : François Vignolle, Vincent Guerrier
- Dessin : Vincenzo Bizzarri
- Couleurs : Vincenzo Bizzarri
- Éditeur : Glénat
- Date de sortie : Le 11 juin 2025
- Pagination : 144 pages en couleurs
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