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Toutes les chansons que j’aimerais oublier

La couverture du dernier né de la collection Young Adult de Drakoo annonce la couleur : l’épais one shot de la jeune Alba Glez va jouer sur la dualité : un titre intrigant et poétique évoquant la fragilité, au-dessus d’un personnage au faciès plein d’arrogance, lui-même orné d’un riche chapeau oriental et arborant un look de rock star glam. Sans parler de tous les éléments de décors et d’ambiance qui attirent l’œil autant qu’ils interrogent l’esprit. Bienvenue dans le multivers, version opéra rock autant intimiste que grandiloquent. 

© Toutes les chansons que j’aimerais oublier – Alba Glez – Drakoo, 2025

Fernando Posada est un ado de 13 ans qui rêve de devenir une rock star. Adopté par un couple aimant qu’il considère comme ses véritables parents, il a perdu son père il y a peu et semble, depuis, sombrer dans la tristesse. Forhe Pedjny est le roi d’un royaume magique. Immortel, il possède le pouvoir de modifier à volonté son apparence, ce qu’il fait régulièrement pour que ses sujets aient l’impression de changer de seigneur. Mais l’immortalité a un prix : l’accumulation des mauvais souvenirs traumatisants. Ainsi, Forhe a longtemps cherché un moyen de fuir cette pesante situation. Fernando est son échappatoire. Car Fernando est Forhe. Le roi a enfin trouvé un équilibre, du moins jusqu’à l’arrivée dans son palais de la belle Yunuén qui viendra bouleverser toute la vie de Forhe/Fernando. 

© Toutes les chansons que j’aimerais oublier – Alba Glez – Drakoo, 2025

Pile tu gagnes, face je perds

Avec 180 pages, la Mexicaine Alba Glez livre une œuvre d’une grande densité. A l’image de son protagoniste, le récit développe différentes facettes et divers styles narratifs. On y trouve, en effet, plusieurs réflexions psychologiques et philosophiques, au gré des dialogues ou des pensées intimes des personnages, sur des thèmes aussi variés que la mort et le deuil, la liberté, la passion créatrice mais aussi destructrice, les doutes et le mal de vivre, les responsabilités et la fuite des problèmes, l’amour et la famille… Tout l’éventail des émotions qui parcourent le cerveau d’un adolescent en construction est représenté, collant à la perfection à la collection « Young Adult » de Drakoo. 

© Toutes les chansons que j’aimerais oublier – Alba Glez – Drakoo, 2025

Le héros de l’histoire est l’image même de l’ado à la fois rebelle et fragile, parfois arrogant et sûr de lui, parfois plein de peurs et de doutes. Cette dualité est représentée par ses deux vies, ses deux univers parallèles. Si Fernando est le maître d’orchestre de son existence, utilisant son pouvoir, surtout financier, pour orienter sa destinée, Forhe, quant à lui, est prisonnier de son statut et de son immortalité. Côté pile, le pouvoir lui ouvre des portes, côté face, il l’enferme dans une cage de traumatismes. Il est, d’ailleurs, très intéressant, ici, que notre monde réel, terne et fragile, soit la vie fantasmée du roi alors que le monde plein de magie et de couleurs soit la réalité qui doit être fuie.

© Toutes les chansons que j’aimerais oublier – Alba Glez – Drakoo, 2025

De grands pouvoirs impliquent… de gros problèmes

Il devient alors passionnant de voir cet immortel essayer de vivre une vie adolescente sans jamais y parvenir réellement, donnant à Toutes les chansons que j’aimerais oublier un petit côté Twilight réussi, Forhe ayant le pouvoir de faire vieillir son corps et donc de grandir au même rythme que ses camarades. Mais si son apparence fait illusion, il garde un esprit millénaire, empli d’expériences heureuses ou traumatisantes, lui donnant plus de sagesse que les adultes, mais aussi plus d’amertume. Certes, l’aspect psychologique est assez peu complexe et nombre de réflexions sont relativement classiques et simplistes, mais l’attachement que suscite Fernando/Forhe, par son imperfection, rend la lecture très fluide et plaisante. 

© Toutes les chansons que j’aimerais oublier – Alba Glez – Drakoo, 2025

Les personnages secondaires ne sont pas en reste, même si Yunuén doit relativement se contenter de sa fonction d’amour idéalisé. Ce rôle est, toutefois, justifié et logique par le choix de l’auteure de placer son récit dans un univers inspiré par les Mille et Une Nuits. Dans notre monde, si la maman de Fernando est de temps en temps un peu agaçante dans ses décisions, les amis de l’adolescent sont tous très attachants, notamment la boule d’énergie qu’est Monica, offrant quelques scènes d’humour assez bien senties. Un ton plus léger que l’on retrouve également dans certaines réactions exagérées de Forhe ou le personnage blasé de Rashmar, le conseiller du roi. On trouve même une case en forme d’hommage à Superman, ce qui est assez cocasse quand on sait qu’Alba Glez travaille régulièrement aux crayonnés chez Marvel.

© Toutes les chansons que j’aimerais oublier – Alba Glez – Drakoo, 2025

Strass, paillettes et bijoux orientaux millénaires

Pour illustrer l’opposition entre les deux univers de son intrigue, Alba Glez fait le choix audacieux de ne rien changer. En effet, il aurait été tentant de modifier son trait ou sa palette de couleurs selon les mondes, mais l’illustratrice préfère garder son style dynamique et délicat, presque aérien, tout au long de l’album. Seule exception, les confrontations entre Forhe et la « déesse », scènes d’une grande noirceur très glauque, notamment à cause du visage de poupée de la créature. Pour ne pas faire trop pâle figure face aux costumes chatoyants et riches des Mille et Une Nuits, Alba Glez a placé son récit au début des années 80. En plus de permettre à son intrigue d’éviter d’être gâchée par internet et les smartphones qui peuvent rapidement déconstruire la magie, cela lui permet également d’offrir à ses personnages des looks colorés et des tenues de scène exubérantes.

© Toutes les chansons que j’aimerais oublier – Alba Glez – Drakoo, 2025

La principale différence de traitement graphique entre les deux faces de l’histoire se matérialise surtout dans les décors. Le monde magique est superbe, avec tout le sublime propice à la magie et à la romance. Les dragons sont très réussis, aussi bien dans leur apparence que dans le dynamisme de leurs mouvements. Mais ce qui réunit les deux univers, c’est bien l’importance des scènes musicales et leur magnifique traitement, poétique et puissant, par Alba Glez. On ressent facilement tout le pouvoir cathartique que la narration donne à la musique sur le protagoniste. Les planches défilent au rythme effréné du rock tout en se permettant des moments suspendus dans le temps, le tout avec une mise en scène riche, collant toujours parfaitement aux émotions du héros, et avec de nombreux ornements très fins.

© Toutes les chansons que j’aimerais oublier – Alba Glez – Drakoo, 2025

Toutes les Chansons que j’aimerais oublier se révèle beaucoup plus passionnant que ce qu’on aurait pu attendre d’un synopsis aussi classique. Mêlant habilement romance et parcours initiatique, et maîtrisant à la perfection toute la dualité de son intrigue et de son protagoniste, l‘intrigue est plus dense et plus profonde qu’il n’y parait, brassant des thèmes universels avec suffisamment d’émotion pour toucher différents lectorats, et passeulement le public « youngadult« . Une jolie surprise, poétique et intense qui ne ménage ni son héros, ni son lecteur, avec des scènes puissantes habilement racontées et magnifiquement mises en images par la jeune Alba Glez.

Une chronique écrite par : Cédric « Sedh » Sicard

© Toutes les chansons que j’aimerais oublier – Alba Glez – Drakoo, 2025

Informations sur l’album 

© Toutes les chansons que j’aimerais oublier – Alba Glez – Drakoo, 2025

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