Raconter le monde. C’est ainsi qu’on pourrait résumer l’ambition d’un ouvrage, qu’il soit ou non une fiction. Parmi les auteurs choisissant l’option réaliste et purement documentaire, les journalistes sont ceux qui ont la vocation de faire vivre et partager à une audience la plus élargie possible les évènements, l’actualité, la façon dont la vie est menée. Littéralement, raconter le monde. La nouvelle collection « Prix Albert Londres », chez Dupuis – Aire Libre permet de découvrir les textes des lauréats du prestigieux prix journalistique dans des romans graphiques reprenant les reportages les plus importants du XXème siècle. Le premier tome de cette nouvelle série est consacré à la guerre de Corée, qui se fonde sur les écrits d’Henri de Turenne.
©Dupuis Aire Libre – Sur le front de Corée – Henri de Turenne – Ortiz / Marchetti
Lorsqu’il est choisi par son journal pour aller, tel Hemingway, exercer en tant que correspondant de guerre sur un front de guerre, le jeune Henri de Turenne est encore peu expérimenté et ne sait pas grand-chose de la Corée, ni du conflit qui commence, en cette année 1950. Il est certes passionné par son métier, mais est sur le point de se marier et n’avait pas l’ambition d’aller jouer le trompe-la-mort au bout du monde. Il va pourtant, pendant presque un an, suivre les soldats au fil des batailles, des drames, des surprises, mais aussi des horreurs d’une guerre qui, si lointaine du vieux continent soit elle, a bien failli faire replonger le monde dans un conflit généralisé.
©Dupuis Aire Libre – Sur le front de Corée – Henri de Turenne – Ortiz / Marchetti
La guerre, cette histoire éternelle
Henri de Turenne n’est pas à proprement parler un spécialiste de la guerre froide, mais un journaliste plein d’avenir, lorsqu’il s’envole pour le pays du matin calme qui, seulement 5 ans après la Seconde Guerre mondiale, n’a jamais si mal porté son surnom. Accompagné d’autres collègues, il va suivre les soldats occidentaux au fur et à mesure de leur avancée jusqu’à Séoul et au fameux 38ème parallèle séparant les deux Corée. Peu porté sur les stratégies militaires et les questions diplomatiques pures et dures, de Turenne insiste sur l’aspect humain d’un conflit peu connu, ayant bien failli dégénérer en apocalypse. Tandis que les GI’s remontent jusqu’au bastion communiste, le journaliste qui les accompagne raconte les villages détruits, les habitants apeurés, les populations endeuillées. De Turenne insiste sur les massacres et les destinées de certains individus pour raconter les aberrations et l’aspect terrible et absurde de la guerre. L’amateur d’Histoire s’étonnera peut-être de la quasi absence d’éléments ultra-concrets et stratégiques (le limogeage de McArthur est expédié en une case), tandis que le fan du journalisme vivant lira les descriptions de De Turenne avec passion et curiosité. Sur le front de Corée est aussi une histoire du journalisme. On y voit les correspondants de guerre travailler, calepins et stylos à la main, dictant leurs reportages via un téléphone fixe et partageant leur réduit misérable pour des nuits d’entraide et de fraternité. L’ouvrage montre aussi l’évolution du métier et notamment l’avènement de la télévision où De Turenne brillera, à son retour d’Asie.
©Dupuis Aire Libre – Sur le front de Corée – Henri de Turenne – Ortiz / Marchetti
Un reportage, une histoire vraie
Les écrits de Henri de Turenne ont été adaptés en bande dessinée par le scénariste Stéphane Marchetti, auteur de documentaire et lui-même lauréat du prix Albert Londres. L’adaptation respecte totalement le travail de de Turenne, car elle en reprend les mots au travers de récitatifs continuels. Sur le front de Corée n’est ainsi pas une bande dessinée à proprement parlé, car il n’y a absolument aucun suspens, aucun bas de page énigmatique ni aucune sous-intrigue. C’est un reportage dessiné, dans la plus pure tradition des documentaires. Si le rythme de l’album n’est pas fondamental – il ne s’agit pas d’une fiction, mais plus de l’aventure humaine d’un journaliste qui fait découvrir une guerre lointaine et exotique à une population qui n’a, en ce début des années 50, que peu de moyens pour savoir ce qu’il se passe dans le monde – le scénariste alterne les pages du front coréen par des apartés de la vie d’Henri de Turenne, avant ou après son aventure asiatique. Ces pauses dans le récit d’une guerre absurde, oubliée et, rappelons-le, en théorie non terminée, offrent une respiration bienvenue au lecteur qui pourra parfois trouver des longueurs à l’ensemble. Le dessin de Rafael Ortiz est à l’image du scénario : documenté, sobre et sans l’élan que l’on trouve dans les BD d’aventures. La copie est propre est adaptée, mais reste figée, sans véritable émotion. Les couleurs de Ooshima et son équipe sont parfaitement adaptées à l’ouvrage. Brunes, sombres et sans jamais être vives, elles décrivent parfaitement la noirceur de la guerre, qui chasse tous les éclats.
©Dupuis Aire Libre – Sur le front de Corée – Henri de Turenne – Ortiz / Marchetti
Sur le front de Corée ne ravira pas les fans de BD d’aventures pures et dures et ne saurait rivaliser avec le cycle de la guerre de Corée de Buck Danny, fondé sur l’action et le rebondissement. En revanche, par son aspect documentaire et ultra réaliste, il éveille, notamment par son dossier de fin d’album, les consciences sur ce conflit oublié, encore malheureusement pleinement d’actualité. Il permet aussi de connaitre la vie des reporters de terrain de l’époque, leurs conditions et leur amour du métier. Des mecs, des vrais.
©Dupuis Aire Libre – Sur le front de Corée – Henri de Turenne – Ortiz / Marchetti
Une chronique écrite par : Mathieu Depit
Informations sur l’album :
- Scénario : Stéphane Marchetti, d’après Henri de Turenne
- Dessin : Rafael Ortiz
- Couleurs : Hiroyuki Ooshima
- Editeur : Dupuis – Aire Libre
- Date de sortie : Le 18 octobre 2024
- Pagination : 120 pages en couleurs
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