Carrefour des civilisations, départ de conquêtes ou lieu d’échanges commerciaux de l’antiquité, la Méditerranée est, de nos jours, le lieu de repos du touriste ou, a contrario, le cimetière de migrants qui tentent de la franchir. Avec cette bande dessinée didactique, le dessinateur Aurel trace les contours d’une étendue d’eau passionnante, aux multiples facettes.
Sur leur bateau à voile, une famille navigue très tranquillement sur la Grande Bleue, mer désignée dans l’Antiquité sous l’appellation Mare nostrum par les Romains. On évoque ici bien évidemment la Méditerranée, source d’inspiration de nombreux chanteurs. Les quatre plaisanciers affrontent un petit coup de vent qui n’est rien en comparaison avec l’indicible qui se présente à leurs yeux. Devant la proue, flottent une dizaine de corps sans vie. Des migrants. C’est l’introduction brutale d’un ouvrage qui détaille les caractéristiques d’une mer qui accompagne, intimement, le destin de l’humanité depuis des millénaires.
La Méditerranée est une héroïne malgré elle. Placée sur le devant de la scène au gré de l’actualité, tour à tour lieu d’accueil pour le flot des vacanciers estivaux européens qui débarquent sur ses plages, ou destination finale de flux migratoires funestes. Dans la même eau, certains se baignent, d’autres se noient. La mer Méditerranée est un océan de contraste.
L’unicité méditerranéenne en question
Le dessinateur de presse et auteur de bandes dessinées Aurel débute son enquête méditerranéenne à Sète, en France. La cuisine locale est le point de départ d’un récit qui doit l’aider à mieux comprendre l’histoire d’une mer protéiforme, véritable mélange culturel avec comme question : existe-t-il une unicité méditerranéenne ?
Ainsi, l’auteur se balade-t-il entre souvenirs d’enfance et entretiens avec différents spécialistes qui lui détaillent les spécificités de l’objet de son enquête, selon leurs champs de compétences (cuisiniers, historiens, linguistes, documentalistes, etc.). Grâce à la magie de la bande dessinée, il interroge même Fernand Braudel (1902-1985), académicien et auteur du livre La Méditerranée. La conversation entre le dessinateur et l’historien, bien calé au fond de sa tombe, est librement inspirée des textes publiés par ce dernier du temps de son vivant.
Entre les interviews et les anecdotes, Aurel distille de nombreuses cartes pédagogiques tout au long de son ouvrage. Il livre une véritable épopée historique qui débute au XIIe siècle avant l’Ère Commune (avant JC pour les chrétiens). On y découvre les différentes civilisations qui ont épousé la mer Méditerranée, l’utilisant pour des conquêtes, des échanges commerciaux ou en soutien à l’agriculture.
De la naïveté bienvenue
Le cyan est bien évidemment la teinte dominante de cet ouvrage très instructif, et ce, dès les premières pages de l’album qui présentent des aplats de bleu, avec des variations d’une case à une autre. Au bleu de la mer, répond non seulement celui du ciel, mais également des décors de chaque case qui confortent ce ton dominant. La première rupture dans les couleurs intervient avec l’histoire d’Omar qui, fuyant la Corne de l’Afrique, prend la route de l’exil. Ainsi, tout au long des pages de Méditerranée, deux histoires s’entrecoupent : d’un côté l’enquête d’Aurel menée avec une forme de naïveté bienvenue – apportant une certaine douceur, de l’autre l’horreur du parcours migratoire d’un homme qui n’a plus rien à perdre.
Au cours du récit, Aurel s’invente des dialogues avec de célèbres chanteuses méditerranéennes et vit pleinement son aventure. Il se retrouve propulsé, au gré des pages, à travers les lieux et les époques. Sans interagir ensemble, Omar et Aurel partagent même un destin commun le temps de quelques vignettes.
Méditerranée est un ouvrage de vulgarisation scientifique offrant aux lectrices et aux lecteurs l’opportunité de mieux comprendre l’histoire d’un continent kaléidoscope qui tient son unité de sa fragmentation. La théorie développée n’est pas contradictoire, c’est bien au contraire une approche humaniste qui doit lier plus intimement ces hommes et ces femmes qui bordent les rives de la grande bleue, indépendamment de leur histoire, de leur géographie ou de leur religion. « La science de la Méditerranée dépend de l’endroit où on la regarde. »
Une chronique écrite par : Bruce Rennes
Informations sur l’album :
- Scénario : Aurel
- Dessin : Aurel
- Couleur : Aurel
- Éditeur : Futuropolis
- Date de sortie : Le 7 mai 2025
- Pagination : 224 pages en couleurs
