Nouvelle aventure et nouveau scénariste pour ce soixante-huitième tome des Tuniques Bleues. Après le regretté Raoul Cauvin, décédé en 2021, sur les soixante-quatre premiers tomes, la parenthèse BeKa, puis Kris sur les deux derniers épisodes, c’est au tour de Fred Neidhardt de conter les déboires du Caporal Blutch et du Sergent Chesterfield au cœur de la guerre de Sécession.
© Fred Neidhardt & Willy Lambil – Dupuis – 2024
Les inséparables Caporal Blutch et Sergent Chesterfield chevauchent dans la plaine lorsqu’ils assistent à une attaque de bandits sur des soldats du Sud. Ceux-ci sont massacrés et le bon Chesterfield ne peut s’empêcher de promettre à un mourant de partir à la recherche de sa fiancée afin de lui remettre sa médaille militaire. C’est parti pour une folle aventure où se croiseront un pasteur crapuleux, un soldat esclave, un fils-de, des lingots d’or, et de nombreuses péripéties comme seules les deux tuniques bleues peuvent en rencontrer.
© Fred Neidhardt & Willy Lambil – Dupuis – 2024
C’est dans les vieux pots…
L’album s’ouvre sur une scène classique des Tuniques Bleues : Chesterfield et Blutch chevauchant tranquillement en échangeant leurs habituelles piques et répliques, le premier en fervent patriote et le second ne rêvant que de désertion. Les deux protagonistes sont toujours autant attachés l’un à l’autre qu’ils se détestent en façade. Un début très classique, donc, mais qui saura vite jouer sur l’ironie avec cette phrase de Blutch, dès la cinquième planche : « Gna gna gna… Vous avez le chic pour vous renouveler, vous ! ». Cette phrase qui pourrait paraître anodine est-elle la promesse d’un renouvellement de ton de la série sous la plume de Fred Neidhardt ? Au contraire, c’est dans les récurrences de thèmes et de gags des Tuniques Bleues que le scénariste français, qui avait déjà œuvré sur le très bon Spirou chez les Soviets en 2020, va puiser pour construire sa narration.
© Fred Neidhardt & Willy Lambil – Dupuis – 2024
Loin d’être un défaut de l’album, retrouver une histoire « à l’ancienne » des Tuniques Bleues est un réel plaisir. Les péripéties s’enchaînent avec leur lot de rebondissements et de dialogues savoureux entre Chesterfield et Blutch. Le duo magique fait merveille dans cet album, des insultes du petit caporal aux menaces du sergent, et la narration alterne à merveille les scènes d’action et de comédie, le tout avec une petite dose de discours social et politique bienvenue. Rien de bien révolutionnaire ici non plus, l’accent à nouveau est mis sur la bêtise et l’hypocrisie de la guerre et de ceux qui la décident depuis leurs bureaux, au nom de grands idéaux cachant des objectifs moins nobles.
© Fred Neidhardt & Willy Lambil – Dupuis – 2024
Cinquante nuances de bleu
Pour son 61e album des Tuniques Bleues*, l’infatigable Willy Lambil, 88 ans au compteur en 2024, n’a certes plus l’aisance d’autrefois mais livre une copie plus que correcte. Certains mouvements sont raides, des expressions sont plutôt étranges, quelques regards sont assez mal dirigés, mais les protagonistes sont toujours aussi charismatiques malgré leurs petites imperfections. C’est notamment le cas des nombreux personnages secondaires, très réussis aussi bien narrativement que visuellement, même si la pilosité peu flatteuse de l’esclave Jones peut laisser perplexe… Comme souvent dans les Tuniques Bleues, Blutch et Chesterfield croiseront un personnage historique, ici le Caporal Robert E. Lee Jr, fils du célèbre général, tout aussi raciste que son père, et qui donnera l’occasion à Blutch de sortir quelques répliques cinglantes dont il a le secret.
© Fred Neidhardt & Willy Lambil – Dupuis – 2024
Le Studio Léonardo assure une nouvelle fois les couleurs et parvient à pallier parfaitement les quelques lacunes de Willy Lambil. Le travail d’ambiance est très réussi dans les décors superbes du Colorado et les contrastes sont tout aussi maîtrisés. Les planches sont ainsi très agréables à regarder et on oublie bien vite les approximations du dessinateur belge, d’autant plus que le rythme est soutenu tout au long de l’album. Il se passe beaucoup de choses dans cette aventure, on y croise de nombreux personnages, les revirements de situation sont légion… Le récit reste toutefois parfaitement fluide et les planches défilent rapidement et agréablement. Si on peut regretter un final quelque peu expéditif, le riche scénario de Fred Neidhardt semblant prisonnier du format classique des 44 planches, cette conclusion est toutefois teintée d’un pessimisme assez inédit mais très lucide qui laissera le lecteur dans une réflexion qu’on ne retrouvait que peu dans les scénarii de Raoul Cauvin.
© Fred Neidhardt & Willy Lambil – Dupuis – 2024
En choisissant une histoire reprenant de nombreux éléments habituels de la série, Fred Neidhardt ne révolutionnera clairement pas les Tuniques Bleues mais est-ce vraiment ce qui lui est demandé ? Un récit classique mais plus efficace que beaucoup de tomes de ces dernières années, un dessin simplifié mais enrichi par un joli travail de couleurs, ce soixante-huitième tome renoue avec ce qui avait fait le charme de la saga.
* Willy Lambil avait repris le dessin des Tuniques Bleues après le décès de Louis Salvérius en 1972, avec le cinquième tome les Déserteurs (Dupuis, 1974)
Une chronique écrite par : Cédric « Sedh » Sicard
© Fred Neidhardt & Willy Lambil – Dupuis – 2024
Informations sur l’album :
- Scénario : Fred Neidhardt
- Dessin : Willy Lambil
- Couleurs : Léonardo
- Éditeur : Dupuis
- Date de sortie : 18 octobre 2024
- Pagination : 48 pages en couleurs
© Fred Neidhardt & Willy Lambil – Dupuis – 2024
© Fred Neidhardt & Willy Lambil – Dupuis – 2024