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Les justes : Carl Lutz

Nommé Vice-consul suisse en Hongrie en janvier 1942, Carl Lutz est un héros qui a été longtemps oublié par sa patrie d’origine. Pourtant, il sauva d’une mort certaine entre 20 et 30’000 personnes grâce à une audace sans faille qui lui fit tenir tête aux nazis et aux autorités hongroises collaborationnistes, ceci en dépit des obstacles liés à la neutralité de son propre gouvernement.

Carl Lutz ©Grand Angle pour Bamboo Edition, Le Naour, Goepfert, 2025

En 1935, le couple Lutz débarque en Palestine. À 40 ans, le mari, Carl, un diplomate suisse, vient d’être nommé chancelier du consulat. Après un début de carrière passé aux États-Unis, il est dorénavant chargé de s’occuper de la protection des intérêts allemands en Terre sainte. Sa femme et lui s’y font remarquer pour leur courage en obtenant notamment la libération de femmes et d’enfants détenus dans des camps britanniques.

Sept ans plus tard, il est muté à Budapest, en Hongrie. La Suisse est chargée de représenter 14 pays, notamment les États-Unis et l’Angleterre. Le diplomate découvre un pays un brin revanchard après la dissolution de l’empire austro-hongrois à l’issue de la Première Guerre mondiale. Son gouvernement s’est allié à Hitler. L’une des missions de Carl Lutz consiste à vérifier les identités de 200 enfants juifs autorisés à quitter la Hongrie pour la Palestine. Le vice-consul sait que ce nombre est dérisoire. Obstiné, il parvient à négocier l’augmentation du nombre de titres de sortie. Toutefois, alors que l’Allemagne est en difficulté sur différents fronts, le Führer met la pression sur le régime hongrois : il faut régler la question des 800’000 juifs de Hongrie. Les lois se durcissent et les arrestations se succèdent. Les persécutés se mettent à rechercher la protection du diplomate et font la queue devant son ambassade. Mais la situation n’est pas simple, nul étranger ne peut pénétrer comme cela dans le bâtiment sans risque d’un incident diplomatique.

Carl Lutz ©Grand Angle pour Bamboo Edition, Le Naour, Goepfert, 2025

De retour d’une réunion, Carl s’aperçoit que sa femme a laissé entrer de nombreux malheureux à l’intérieur du bâtiment consulaire. C’est une atteinte à la neutralité suisse. Mouché par son épouse qui lui suggère de ne rien dire à Berne, le diplomate s’engage désormais corps et âme pour sauver un maximum de personnes de la déportation. Suivant son exemple, d’autres représentations consulaires lui emboîtent le pas et adoptent les solutions imaginées par le Suisse.

Derrière l’homme, une femme courageuse

Avec Carl Lutz, l’historien Jean-Yves Le Naour réhabilite un homme qui a longtemps été oublié par les autorités suisses au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, au péril de sa vie, le diplomate s’est fendu de mille et une ruses afin d’obtenir des bons de sortie qui permirent à des milliers de personnes de trouver refuge ailleurs. Parmi ses astuces, il n’hésite pas à jouer sur les mots ou les chiffres. On lui accorde une autorisation pour 7800 personnes. Il fait numéroter les documents de 1 à 7’800 et recommence la numérotation à 1 lorsque le quota est atteint. Mieux encore, on lui parle de 7’800 individus, il considère que ce sont plutôt 7’800 familles et accorde des bons de sortie collectifs. Du côté de la représentation allemande en Hongrie, qui gouverne le pays, ces ruses agacent. On se rend donc coup pour coup. Carl Lutz n’hésite pas à réquisitionner des bâtiments entiers afin de les déclarer « annexe de l’ambassade Suisse avec le statut d’extraterritorialité ». Une idée de génie qui lui permet d’accueillir et de placer sous sa protection des milliers de personnes.

Carl Lutz ©Grand Angle pour Bamboo Edition, Le Naour, Goepfert, 2025

Dans son récit, Jean-Yves Le Naour n’oublie pas la femme de Carl Lutz, Gertrud Fankhauser-Lutz. En Palestine comme en Hongrie, elle se distingua par un incroyable courage et pas simplement par le soutien qu’elle apporta à son époux, puisqu’elle prit une part active à ces sauvetages d’envergure. Malgré ce combat commun, le couple ne survécut pas à l’infidélité de Carl qui la quitta au retour de Hongrie. Toutefois, Gertrud continua sa carrière dans l’humanitaire et devint même vice-présidente de l’UNICEF.

De Jaffa à Budapest

Le trait réaliste de Brice Goepfert est un petit ravissement, un bijou de précision qui rend le récit fluide du début à la fin. Le dessinateur est aussi à l’aise avec les paysages arides de Jaffa qu’avec les décors urbains de Budapest. La richesse des dialogues, parfois complexes en raison des enjeux diplomatiques de cette période historique, ne se substitue pas au dessin. L’équilibre dans les cases est harmonieux et la lecture agréable. Malgré tout, certaines scènes sont d’une horreur indicible. Si Carl Lutz en fait des cauchemars, les lectrices et les lecteurs n’en sortent pas indemnes non plus. Ce n’est pas une œuvre de fiction. La réalité est cruelle.

Carl Lutz ©Grand Angle pour Bamboo Edition, Le Naour, Goepfert, 2025

L’histoire de Carl Lutz apparaît comme une œuvre indispensable à la mémoire collective. On l’a vu, le diplomate suisse et son épouse ont servi de modèles à de nombreuses autres représentations consulaires installées en Hongrie. Et si la Confédération Helvétique a longtemps et injustement oublié l’un de ses plus fidèles représentants, l’heure est maintenant à la mise en lumière de son histoire.

Carl Lutz ©Grand Angle pour Bamboo Edition, Le Naour, Goepfert, 2025

Avec ses collections Héros de Guerre ou Les Justes, Grand Angle s’intéresse à des hommes et des femmes qui, malgré leur courage, ont été les oubliés de la grande Histoire. Ces récits les réhabilitent. Pour raconter ces incroyables destins, il fallait bien des spécialistes de ces grandes guerres pour les écrire et des dessinateurs talentueux pour les mettre en images. Le défi est parfaitement exécuté et réussi ce joli tour de force d’ancrer durablement ces courageux inconnus dans la mémoire des lectrices et des lecteurs du XXIe siècle.

Une chronique écrite par : Bruce Rennes

Informations sur l’album :

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