Rose est atteinte d’une maladie incurable. Elle annonce à ses deux enfants adultes, Laura et Alexis, qu’elle a décidé de recourir au suicide assisté afin d’abréger ses souffrances. L’illustratrice suisse Melisa Ozkul publie chez Antipodes un roman graphique touchant qui explore la manière de vivre un deuil durant les semaines qui précèdent une mort programmée.
Dans sa chambre, Rose philosophe sur le sens de sa fin de vie et sur la signification des rides qui parsèment son visage, « Sont-elles le message d’un corps dépité ? », se demande-t-elle. Elle est brusquement interrompue dans ses pensées par la colère de sa fille Laura qui débarque, scandalisée. Elle vient d’apprendre de la bouche de son frère que sa mère a décidé de recourir au suicide assisté. La vieille dame connaît déjà la date à laquelle elle quittera le monde des vivants : « Dans deux mois, un jeudi. » La vie reprend son cours, mais Laura ne parle plus à Rose. Elle ne supporte pas cette idée de départ volontaire que la loi suisse autorise sous forme de suicide assisté. Entre les deux femmes, Alexis tente sans succès d’amorcer une discussion qui semble vouée à l’échec.
Le délicat sujet du suicide assisté
Melisa Okzul apprécie particulièrement les thèmes sociétaux. En se basant sur une histoire réelle, l’illustratrice suisse s’est approprié le délicat sujet du suicide assisté avec intelligence et une certaine poésie. Au fil des pages, lectrices et lecteurs assistent aux conséquences de l’annonce de Rose. La famille est bouleversée. Entre celui qui accepte et celle qui refuse, le dialogue est difficile. Les deux enfants de la vieille dame incarnent une représentation, presque extrême, des différentes opinions qui entourent le choix de la fin de vie dans la société civile.
Aussi bien pour le frère que pour la sœur, la quête de sens devient inévitable. Comment surmonter l’épreuve du choix de Rose ? Il s’apparente à un premier deuil presque plus compliqué à gérer que celui qui se déroulera dans deux mois. Melisa Ozkul signe des dialogues empreints d’une grande émotion, portés par la poésie d’un dessin qui délivre, ici et là, en toute discrétion, quelques allégories sur la fin de vie.
Tout en contraste
Les pages de ce roman graphique sont contrastées, à l’image des opinions divergentes d’Alexis et de Laura. Aux planches surchargées, se succèdent des planches offrant de larges espaces, avec des dessins minimalistes. Entre deux vignettes bordées d’un cadre, s’incrustent des images qui s’affranchissent de ces contraintes : les contours disparaissent, laissant au trait de l’autrice une liberté sans limite. Melisa utilise ses talents d’illustratrice pour offrir un dessin épuré et ses compétences de graphistes pour placer habilement des éléments qui servent son histoire, à l’image de ce verre empli d’un curieux liquide en début de récit, qui se retrouve vide à la fin de l’album. Il cache une symbolique forte. Bien évidemment, le choix du noir et blanc utilisé pour les dessins renforce encore cette dualité des convictions.
Euthanasie passive ou active (indirecte), ou encore l’assistance au suicide définissent des modes, légaux ou non selon les pays, de quitter notre monde de manière volontaire. C’est un sujet complexe à aborder. Le dernier pétale de Rose n’est pas un ouvrage qui prend position sur la fin de vie. C’est une réflexion profonde sur la dignité humaine, le choix de chacune et de chacun à prendre une décision qui n’est parfois pas en accord avec la morale de nos sociétés ou même de celle de ses proches. « La mort est la seule liberté possible », dit Rose. À travers son trio mère-fils-fille, Melisa Ozkul décrit le cheminement de chacun face à la douleur de perdre un être cher ou encore de constater la déchéance de son propre corps ridé et douloureux. C’est réalisé avec une très grande sensibilité. Malgré la difficulté du sujet, ce roman graphique reste une ode à la vie… ou à la liberté.
Chronique écrite par : Bruce Rennes
Informations sur l’album :
- Scénario : Melisa Ozkul
- Dessin : Melisa Ozkul
- Éditeur : Antipodes
- Date de sortie : Le 15 janvier 2025
- Pagination : 120 pages en noir et blanc