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Interview de Xavier Coste

En 1962, le journaliste Georges de Caunes, « vedette » de la radio et pionnier de la télévision, se lance un défi hors norme : tout quitter pour vivre sur une île déserte. Plus de soixante ans après, son fils Antoine, avec la collaboration de Xavier Coste, tire un album touchant de cette expérience qui fut douloureuse pour lui et dangereuse pour son père. Élu coup de cœur du mois de Juin par Les Amis de la BD, nous avons profité de l’occasion pour demander à Xavier Coste de répondre à nos questions, ce qu’il a gentiment accepté.

© Xavier Coste – 2025

Les Amis de la BD : Xavier Coste, comment vous êtes-vous retrouvé embarqué dans ce projet ? Comment avez-vous rencontré Antoine de Caunes ? N’était-ce pas un peu stressant de mettre en forme cette histoire personnelle ?

Xavier Coste : Antoine m’avait invité dans son émission sur France Inter, « Popopop », à l’occasion de la sortie de mon adaptation en BD de 1984. Je gardais un bon souvenir de cette première rencontre. Et il y a un an, Dargaud l’a approché pour savoir s’il avait envie de réaliser une bande dessinée, mais il lui importait d’avoir un sujet, un propos. Et cette histoire est immédiatement revenue à la surface. Il avait le titre, « il déserte », mais tout restait à faire. C’était tout sauf un projet anodin, et j’ai été séduit par le caractère hors-norme de l’aventure de Georges de Caunes, et aussi par cette résonance toute particulière pour Antoine. C’était très enthousiasmant pour moi de travailler dans ces conditions, avec un tel matériau de base ! Et ce projet me laissait vraiment de la place pour m’exprimer à travers des pages contemplatives, ensoleillées, aussi bien que dans des scènes nocturnes où on est entre le rêve et la réalité, ce que j’affectionne particulièrement. J’avais le sentiment de pouvoir m’approprier cette histoire d’une certaine façon. Je me suis laissé complètement embarquer… J’ai rarement eu un tel appétit de dessiner !

©Dargaud – Il déserte – Antoine de Caunes et Xavier Coste – 2025

Les Amis de la BD : Le scénario est signé de vos deux noms. Comment s’est passée la collaboration sur l’écriture ?

Xavier Coste : Cela a été un véritable ping-pong permanent entre nous, j’ai eu l’impression que l’on cherchait à se surprendre. On travaillait chacun de notre côté mais nous faisions des points régulièrement. On avançait sans filet, sans savoir comment ce récit allait être mené, et il a donc été fait dans une bonne énergie. Ce qui m’a plu, c’est que nous avons fini par raconter une histoire assez éloignée de celle que l’on pensait écrire au départ : la relation père-fils n’était pas un thème que l’on avait vraiment envisagé dans un premier temps. Nous pensions nous concentrer surtout sur l’aventure de Georges sur l’île, et même si c’est toujours le cas dans le livre tel que nous l’avons conçu, j’ai l’impression qu’il peut être résumé surtout par cette notion de filiation.

© Xavier Coste – 2025

Les Amis de la BD : Pour chaque narrateur, vous avez su trouver un style et un code couleur qui les différencie tout en gardant votre patte graphique qui ne ressemble à aucune autre. Comment vous sont venus ces choix pour ces séquences plus intimistes ?

© Xavier Coste – 2025

Xavier Coste : Je voulais que l’aventure sur l’île ressemble en quelque sorte à un carnet de voyage, avec un dessin hors des cases, et des couleurs qui explosent littéralement. Il me paraissait pertinent d’avoir un dessin un peu « atténué », en niveaux de gris, pour les séquences plus intimistes avec Antoine enfant, qui écoute son père à la radio depuis Paris. J’aime de plus en plus segmenter mes livres avec des ambiances colorées différentes pour que le lecteur s’y retrouve tout de suite. Et je trouve qu’il s’en dégage aussi une atmosphère plus marquée…

© Xavier Coste – 2025

Les Amis de la BD : Le récit est drôle et bouleversant à la fois. Les paysages semblent paradisiaques mais l’île est un vrai caillou désertique. L’expérience rêvée de Georges s’avère un calvaire et dangereuse pour sa santé. Il a fallu inventer des trouvailles graphiques afin de matérialiser graphiquement tous ces contrastes. Comment avez-vous procédé ?

Xavier Coste : Oui, en tant que dessinateur, quand j’ai eu les descriptions de l’île j’ai trouvé cela plutôt handicapant. Je n’ai pas pu me reposer sur une surabondance de verdure, de cocotiers, et j’aurais voulu moi aussi tomber sur l’île rêvée. J’ai souhaité donc concentrer mon énergie sur les couleurs, et j’ai veillé à ce que les ambiances soient souvent renouvelées. La lumière n’est jamais la même, le soleil qui se reflète sur l’eau, non plus… tout cela m’a aidé à incarner le décor, à planter une ambiance. Cette île est assez insaisissable, ce n’est qu’un amas de cailloux. Et comme on suit l’histoire aussi à travers les yeux d’Antoine, je trouvais intéressant d’avoir quelque chose d’assez imprécis, avec des couleurs irréalistes par moment, pour coller à ces visions d’enfant.

© Xavier Coste – 2025

Les Amis de la BD : Après vos deux albums très sombres dans l’univers d’Orwell, votre dessin, exécuté dans un style qui rappelle les carnets de voyage, est mis en valeur par des aquarelles lumineuses. En termes de couleur, aucune page ne ressemble à une autre. De quelle façon avez-vous travaillé sur cet album ?

Xavier Coste : J’ai travaillé entièrement en numérique pour composer ce livre, car nous avancions sans filet, et nous modifions les textes en permanence. J’ai aimé travailler de cette manière, mais cela aurait été compliqué d’aborder ce livre avec une technique traditionnelle. L’énergie était vraiment présente, et j’aime qu’un livre soit une matière vivante qui évolue en permanence… Dès que j’abordais une page, je ne savais pas trop où j’allais, et j’ai adoré ce sentiment. Une fois que le livre a été terminé j’ai quand même voulu reprendre à la peinture quelques planches et illustrations qui sont dans le livre. Une fois qu’une image est solutionnée, je l’ai vraiment en tête, et je peux être dans un laisser-aller et un plaisir de dessin assez agréable…

©Dargaud – Il déserte – Antoine de Caunes et Xavier Coste – 2025

 Les Amis de la BD : Vous semblez avoir eu beaucoup de plaisir à travailler ensemble. Peut-on espérer vous voir de nouveau réunis sur un prochain projet commun ?

Xavier Coste : J’aimerais beaucoup ! Il faudrait que nous trouvions un sujet, et une envie commune. Faire un livre n’est pas anodin, il faut vraiment que ce soit quelque chose qui nous tienne à cœur. 

© Xavier Coste – 2025

Les Amis de la BD : Toujours dans l’image, mais un peu éloigné de la BD, j’ai entendu parler d’un projet dans le cinéma d’animation, pourriez-vous m’en dire un peu plus ? Vous aviez également le projet d’adapter 1984 ? Est-ce toujours d’actualité ?

Xavier Coste : Je travaille en tant que directeur artistique dans le cinéma d’animation, pour un film de Samuel Lajus qui s’appelle « Kigali Night ». Il y a une belle alchimie sur ce projet qui est en cours de développement, et on cherche une technique pour avoir un rendu animé qui soit assez proche de mes dessins. Depuis quelques années je découvre un nouveau monde, et la notion du temps n’est pas la même, chaque projet s’étale sur au moins 5 ans. Pour le projet 1984, j’essaie actuellement de trouver un nouveau producteur.

©Sarbacane – 1984 – Xavier Coste (d’après George Orwell) – 2021

Côté bande dessinée je suis en train de réaliser un livre sur Rodin et Michel-Ange pour une coédition entre le Louvre et Rue de Sèvres.

Les Amis de la BD : Pour conclure, auriez-vous un petit mot à adresser aux Amis de la BD ?

Xavier Coste : Merci aux lecteurs et aux libraires qui ont vraiment porté ce livre ! Pour moi cette bd est un petit miracle, nous avons travaillé avec une grande sincérité et j’ai l’impression que les lecteurs l’ont ressenti. J’en suis beaucoup touché.

Merci beaucoup Xavier Coste d’avoir pris le temps de répondre à mes questions

Propos recueillis par : Emmanuelle Desseigne

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