Et si, dans l’univers magique et dangereux de Narnia, au lieu d’enfants innocents, étaient projetés Conan le Barbare et Harley Quinn ? C’est un peu le concept dingue de Helen de Wyndhorn, de Tom King et Bilquis Evely. Glénat propose l’intégrale de cette courte série de comics, véritable hommage à la littérature pulp et à Robert E. Howard, dans un album généreux à la couverture sublime.
© Helen de Wyndhorn – King/Evely/Lopes – Glénat, 2025
Le célèbre auteur de romans pulp C.K. Cole a tout plaqué pour vivre, et surtout survivre, sur les routes avec sa fille Helen. Mais à la mort du romancier, l’adolescente de 16 ans doit aller vivre chez son grand-père qu’elle ne connaît absolument pas. Première (bonne) surprise, il habite dans un grand manoir. Seconde (excellente) surprise, sa cave à vin est remplie de bouteilles que l’alcoolisme de Helen ne tardera pas à embrasser. Troisième (mauvaise) surprise, les alentours semblent abriter des créatures d’un autre monde.
© Helen de Wyndhorn – King/Evely/Lopes – Glénat, 2025
Romans de gare et CIA
Sous-genre de la fantasy, elle-même très longtemps vue comme un sous-genre de la littérature, et du thriller, le pulp, né aux États-Unis au début des années 20, est un peu l’équivalent des « romans de gare » français. Des polars macabres évoluant dans des milieux aux mœurs plus que douteuses avec des enquêteurs alcooliques et dépressifs. Des romans fantastiques dans lesquels des héros, masculins et musclés combattent des monstres gigantesques et séduisent des princesses en détresse. Des textes horrifiques et gothiques peuplés de créatures inquiétantes ou de spectres menaçants qui s’en prennent à des protagonistes fragiles. Voilà ce qui composait la majorité de ces livres écrits à la chaîne, remportant un succès populaire aussi important que le mépris dont ils étaient victimes de la part de la société bien-pensante.
© Helen de Wyndhorn – King/Evely/Lopes – Glénat, 2025
Certains auteurs pulp ont aujourd’hui acquis le statut de classiques, tels Howard P. Lovecraft, Clark Ashton Smith, et bien sûr Robert E. Howard, le créateur de Conan le Barbare, mais aussi de Solomon Kane, Red Sonya ou Corman Mac Art. C’est à toute cette littérature, mais aussi aux classiques des voyages dans d’autres mondes, comme le Magicien d’Oz, que Tom King rend hommage dans Helen de Wyndhorn. Le scénariste, ancien agent de la CIA, est connu pour ses intrigues psychologiques et mélancoliques autour de super héros célèbres comme Batman, Vision, Rorschach, et surtout Supergirl dans son arc le plus réputé : Woman of Tomorrow.
© Helen de Wyndhorn – King/Evely/Lopes – Glénat, 2025
Dorothy, les haches en plus
Pour Helen de Wyndhorn, Tom King est parvenu à mêler judicieusement ses influences pulp à ses thématiques personnelles. Ainsi, difficile de nier la parenté artistique entre Barnabas, le grand-père de Helen, et Conan ou autres héros bourrins de la fantasy décomplexée. Taciturne et taiseux, sauf lorsqu’il affronte les monstres de l’autre monde, dans une quête dont lui seul semble comprendre le but et l’importance, il habite dans une immense demeure perdue au milieu de nulle part. Helen, quant à elle, n’est pas sans rappeler la Supergirl de Woman of Tomorrow : une jeune femme orpheline qui cherche sa place, un penchant pour l’alcool qui sert de rampe de lancement à l’intrigue, une figure familiale imposante qui, à la fois, écrase et inspire l’héroïne qui se dépassera pour devenir une guerrière redoutable.
© Helen de Wyndhorn – King/Evely/Lopes – Glénat, 2025
Beaucoup plus autodestructrice que la cousine de Superman, Helen porte sur ses épaules la narration de Tom King, par sa mélancolie, sa dépression mais aussi l’espoir retrouvé dans son nouveau rôle de guerrière. Dépassement de soi, confiance en elle, respect des règles, sobriété, un nouveau sens à sa vie éclaire le visage de la jeune fille, avec son lot de petites joies, de grands bonheurs mais aussi d’intenses déceptions. Beaucoup plus qu’un récit de fantasy bourrine, Helen de Wyndhorn est, en effet, une vraie plongée dans la psychologie d’un personnage qui doit évoluer pour survivre, dépasser ses démons intérieurs et arrêter de se victimiser afin d’épouser une mission qu’elle n’a pas voulue.
© Helen de Wyndhorn – King/Evely/Lopes – Glénat, 2025
Onirique, épique, trivial
Helen, cette protagoniste pleine de failles, est soutenue, mais aussi bousculée par le personnage de Lilith Appleton, la gouvernante embauchée par Barnabas pour s’occuper de l’éducation de la jeune fille. Lilith, dont le prénom est dérivé du sumérien Lil, le vent, ou du l’arabe Leïla, la nuit, est, aussi bien dans la bible que dans le Coran, « la femme à l’égal de l’homme ». Une position qui colle bien à la gouvernante de Helen de Wyndhorn tant elle guide, à sa façon, sa protégée. C’est également elle qui est la narratrice de l’aventure, via le fil rouge des enregistrements de ses interviews avec l’auteur d’une biographie de C.K. Cole. Un procédé narratif bavard mais vraiment immersif qui, hélas, amène une fin un peu précipitée et décevante, mais aussi des scènes hors du récit, assez déstabilisantes, présentant les personnages, inutiles dans l’intrigue principale, chez qui naviguent, au fil des décennies, ces enregistrements.
© Helen de Wyndhorn – King/Evely/Lopes – Glénat, 2025
Ce qui est loin d’être décevant, en revanche, c’est bien le dessin de Bilquis Evely. Déjà collaboratrice de Tom King sur Supergirl, Woman of Tomorrow, la Brésilienne démontre un talent indéniable pour des cases riches, tantôt oniriques, tantôt épiques, tantôt d’une approche de la réalité des plus brutales, comme lors de scènes de perditions de Helen. Les monstres sont impressionnants, dans le gigantisme de certains comme dans le côté mignon d’autres, et les personnages rivalisent de charisme. Lorsque Helen commence à s’assumer en tant que guerrière, l’illustratrice parvient à dégager une grande puissance de sa protagoniste. Les décors, très variés, sont d’une grande richesse, à l’image de l’imposant manoir aux pièces très détaillées. Quant aux couleurs de Matheus Lopes, lui aussi passé par la case Woman of Tomorrow mais aussi le récent Void Rivals, elles renforcent à la fois l’aspect fantastique et le côté pulp, avec leurs teintes très sobres, presque vieillies.
© Helen de Wyndhorn – King/Evely/Lopes – Glénat, 2025
Malgré un final qui arrive trop rapidement et manque clairement de réponses, Helen de Wyndhorn est une lecture captivante et totalement décomplexée. En face de son intrigue simple aux quêtes pourtant mystérieuses, l’album propose une protagoniste des plus intéressantes qui suscite facilement l’empathie et dont l’évolution est le réel fil conducteur du récit. Avec les magnifiques planches de la dessinatrice Bilquis Evely et du coloriste Matheus Lopes, cette intégrale des six épisodes confirment également le talent de conteur de Tom King, capable d’entremêler des influences pulp avec des ambitions psychologiques plus intenses.
Une chronique écrite par : Cédric « Sedh » Sicard
Informations sur l’album :
- Scénario : Tom King
- Dessin : Bilquis Evely
- Couleurs : Matheus Lopes
- Éditeur : Glénat
- Date de sortie : Le 1 octobre 2025
- Pagination : 168 pages en couleurs
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