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Faut pas prendre les cons pour des gens, tome 5

Une start-up de la mendicité, la privatisation du bonheur, l’impact des vidéos de chatons sur le réchauffement climatique, la saine pollution, un jeu télévisé pour trouver un emploi, la série politico-socialo-absurde Faut pas Prendre les Cons pour des Gens est de retour avec un cinquième tome né de l’imagination d’Emmanuel Reuzé, Jorge Bernstein et Vincent Haudiquet, mais surtout, hélas, des dérives de plus en plus connes de nos sociétés dites « évoluées ».

© Fluide Glacial – Faut pas prendre les cons pour des gens – Reuzé, Bernstein et Haudiquet – 2024

Un mouvement figé dans le temps

En septembre 2019, après quelques mois à s’inviter dans les pages du magazine Fluide Glacial, débarquait en librairie une bien singulière bédé. Un titre énorme, inversant sarcastiquement les mots, au-dessus de quatre cases, dont trois identiques où seules les bulles changent, qui racontent le désarroi de parents devant leur nouveau-né qui « ne parle pas un traitre mot de français » avant de l’expulser du pays par charter. Cette première couverture annonçait une œuvre à la fois absurde et ancrée dans un réel dont on aurait juste poussé les potards, à la fois drôle et révoltante mais surtout créant un malaise chez le lecteur. De l’humour absurde qui, une fois le sourire effacé, incite à une certaine réflexion. Si en parcourant, sans lire, l’album, certains lecteurs auraient pu être repoussés par le choix graphique « facile » de multiplier les cases identiques, le curieux qui aura plongé dans les dialogues aura vite compris que cette esthétique insistait encore sur le côté « con » de ces pas-vraiment- gens qui nous ressemblent pourtant tellement.

Alors que paraît ce cinquième tome, Emmanuel Reuzé persévère sur ce graphisme, à la limite du photoréalisme, inspiré par les illustrations des vieilles publicités du milieu du XXe siècle, et cela fonctionne toujours autant. Tous ces cons, coincés dans leurs certitudes, s’accrochant à leurs vieilles « valeurs » comme des huîtres à leurs rochers, sont comme bloqués dans leur bêtise ou leur impuissance face à celle des autres ou de tout un système.  Comme le sont également ces figurants, dans le fond, qui courent mais n’avancent pas. La connerie nous fixerait-elle dans le temps dans un immobilisme qui nous empêche de progresser, d’être plus bienveillants, d’être juste moins cons ?

© Fluide Glacial – Faut pas prendre les cons pour des Gens – Reuzé, Bernstein et Haudiquet – 2024

Trop con, trop (pas) bon ?

De la bienveillance, en effet, on en trouve peu dans les cinq tomes de Faut pas Prendre les Cons pour des Gens, et, quand on en distingue quelques miettes, elle est soit complètement intéressée, soit bien mal récompensée. Si parfois, le message des auteurs est un peu trop maladroit ou exagéré au point d’en perdre toute efficacité, à l’image de ce débat entre IA de supermarchés poussant à la surconsommation, la plupart des « gags » de l’album fait mouche. Que ce soit l’humour pur de ce manifestant qui veut récupérer les boules de pétanques qu’il avait lancées sur les policiers parce qu’il part en vacances, ou celui, plus visuel, des attentats à la bombe éco-responsable, on rit souvent à la lecture de ces 56 pages.

Mais on trouve aussi beaucoup d’amertume dans ce cinquième album, comme ces pancartes vides d’enfants du Tiers Monde manifestant pour leur droit à apprendre à écrire, ou le « suicide assisté » proposé aux SDF les nuits d’hiver. Les images pèsent alors encore plus sur un message, le rendant plus concret, plus horrible : l’enfant, en feu sur une plage, à qui sa mère reproche de ne pas avoir mis sa casquette, figera le regard du lecteur, le coinçant dans la même boucle temporelle que les protagonistes. Une nouveauté dans ce tome, le fil rouge de Marcel, et son parcours couronné de succès d’entrepreneur dans la mendicité, reviendra régulièrement au fil de page, telle une success story qui ne peut que tourner au vinaigre.

© Fluide Glacial – Faut pas prendre les cons pour des Gens – Reuzé, Bernstein et Haudiquet – 2024

Bonheur amusé (et pas encore privatisé) mais aussi amer, et même parfois triste, que de retrouver la bande d’Emmanuel Reuzé pour des nouvelles planches absurdes aux messages politiques et sociaux forts. On rit souvent jaune, mais on rit souvent tout de même. Alors, « Faut pas prendre les cons pour des gens », certes, mais quand ces gens sont seulement des versions exagérées de nous-mêmes, et de notre manque de discernement, devons-nous être inquiets de devenir de plus en plus cons et de moins en moins gens ?

Une chronique écrite par : Cédric « Sedh » Sicard

© Fluide Glacial – Faut pas prendre les cons pour des Gens – Reuzé, Bernstein et Haudiquet – 2024

Informations sur l’album :

© Fluide Glacial – Faut pas prendre les cons pour des Gens – Reuzé, Bernstein et Haudiquet – 2024

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