L’intelligence artificielle générative a débarqué avec fracas dans le quotidien de tout un chacun, chamboulant de nombreux métiers, notamment celui d’artiste. Inquiète pour l’avenir de sa profession, l’illustratrice Suisse Dora Formica est allée à la rencontre de ses pairs afin de recueillir leurs sentiments vis-à-vis de cette technologie qui bouleverse les habitudes.
Dora Formia entend parler de l’Intelligence artificielle générative (simplifiée IA) pour la première fois à l’occasion d’un périple familial en Slovénie. C’est un graphiste bossant dans une grosse boîte qui lui évoque ces trois mots qui intriguent l’illustratrice. Plus tard, à l’occasion d’un festival de littérature jeunesse, elle apprend que l’éditeur d’un romancier a fait réaliser la couverture de son livre par une IA. C’est le choc pour la lausannoise. Issue d’une longue lignée d’artistes, elle s’inquiète pour sa profession et commence à se renseigner sur le sujet.
C’est le point de départ d’une enquête qui va mener Dora Formica à travers la Suisse bien évidemment, mais également en Belgique, Allemagne, Hollande et France. Elle décide de rencontrer ses pairs afin de mieux connaître les techniques de chacun et de mieux connaître leurs habitudes de travail, avec ou sans IA.
Le crayon magique de Léonie
L’une des premières discussions de l’artiste est tout d’abord intime. « Heureusement en BD, tout est possible. » C’est ainsi qu’elle convie son père, le peintre Marc Taraskoff, décédé il y a dix ans, à venir lui parler des générations de dessinateurs et de dessinatrices qui composent sa famille. Une aventure qui remonte à la quatrième génération tout de même.
Puis, Dora prend la route. Onze artistes figurent sur sa liste. À chaque rencontre, l’autrice détaille la configuration des ateliers visités. Il y a ceux qui sont spacieux, les espaces partagés entre plusieurs dessinateurs et dessinatrices, avec ou sans outils numériques, des tables avec un joyeux bazar, surchargées de crayons ou de feuilles de papier. À chacun ou chacune son organisation et sa méthode de travail. Il est à relever que seule la présentation des ateliers est dessinée en couleur. Le reste de l’album étant en noir et blanc.
Curieuse, l’illustratrice essaye même les outils de travail de ses hôtes, tel le crayon magique de Léonie Bischoff dont la mine est composée d’éclats de couleurs primaires, ou encore les stylos à l’encre de Chine de Bianca Schaalburg installée à Berlin.
La machine à dédicace de Martin
Chaque visite d’un atelier est l’occasion pour les lectrices ou les lecteurs de découvrir les différents outils qui accompagnent le travail des dessinatrices et des dessinateurs. L’indispensable table lumineuse, mais également le petit balai de table, un curieux pinceau trident, ou encore les types de gouaches ou les crayons de couleur utilisés. Et puisque l’ouvrage traite de machine, on y découvre même l’incroyable traceur relié à un ordinateur utilisé par Martin Panchaud pour réaliser ses dédicaces.
L’ouvrage de Dora Formica n’est pas dogmatique. Ce n’est pas une critique acerbe dirigée contre l’intelligence artificielle. Au contraire, c’est une enquête qui permet de mieux appréhender les mécanismes de travail d’une profession qui doit s’adapter à ces changements. Il questionne notamment sur le ressenti, aussi bien psychologique que physique, des artistes.
Au-delà du sujet de cette enquête, cette bande dessinée est avant tout introspective. Tout au long des pages, l’illustratrice évoque avec émotion le souvenir des liens qui l’unissaient à son papa, une relation entretenue parfois à distance grâce à une technologie à priori maintenant obsolète, le téléfax.
L’intelligence artificielle générative continuera certainement à être de plus en plus performante, c’est peut-être inquiétant. Toutefois, dans de nombreux métiers, on assiste à un retour de l’authenticité. Sur les réseaux sociaux, des auteurs et autrices ont annoncé leur plaisir de retrouver la sensation du crayon glissant sur le papier. Ainsi, c’est aux lectrices et aux lecteurs de se mobiliser afin de valider ce choix de retrouver la pureté du trait, en soutenant ces raconteurs ou raconteuses d’histoires, qu’ils ou elles soient dessinateurs, dessinatrices ou encore scénaristes. L’intelligence humaine a encore de beaux jours devant elle.
Une chronique écrite par : Bruce Rennes
Informations sur l’album Certifié Humain :
- Scénario : Dora Formica
- Dessin : Dora Formica
- Couleur : Dora Formica
- Éditeur : Helvetiq
- Date de sortie : Le 24 avril 2025
- Pagination : 160 pages ; noir et blanc ; couleur
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