Notre feuilleton de l’été sur les métiers de la BD continue aujourd’hui avec l’interview de Philippe Charlot. Du haut de ses 35 BD en tant que scénariste, il a gentiment accepté de nous parler de ce métier qu’il exerce à plein temps depuis 2011.
©Philippe Charlot
Les AmBD : Quand et comment as-tu décidé de devenir scénariste de BD ?
Philippe Charlot : Je ne peux pas vraiment dire que j’ai décidé. Je vais plutôt dire que j’ai tenté le coup suite à une discussion avec un copain qui avait dessiné deux albums de BD. C’était à un moment de ma vie où j’avais des envies d’écriture et quand il m’a encouragé à écrire des scénarios pour la BD j’ai trouvé que son idée avait du sens. J’ai donc commencé tard (j’avais presque 50 ans). J’ai contacté de grands noms de la BD de Pau, la ville où j’habite (notamment Wilfried Lupano) et ils m’ont reçu avec beaucoup de gentillesse. Je me suis précipité sur le rayon BD de la bibliothèque municipale ainsi qu’en librairie spécialisée BD afin de rattraper mon retard sur le secteur et d’appréhender ce qui se faisait. J’ai préparé un dossier avec une jeune dessinatrice qu’on est allé présenter au Festival d’Angoulême. Et tout s’est enchaîné tout seul… Pour répondre vraiment à ta question, je ne sais pas si dans mes collègues scénaristes, beaucoup ont réellement décidé de devenir scénariste de bande-dessinée dans la mesure où il n’y a pas d’école. C’est plus quelque chose qu’on tente !
Les AmBD : Comment te viennent tes idées de scénarios ?
Philippe Charlot Pendant longtemps, je cherchais beaucoup, mais je me suis aperçu qu’au bout d’un moment, la recherche se transforme en réflexe. C’est-à-dire que parfois, j’entends parler d’un sujet dans un podcast ou j’ai lu un documentaire et je m’arrête dessus en me demandant si ça pourrait être un bon point de départ pour une BD. Je fais partie des scénaristes qui partent du sujet et qui créent une histoire autour. Je pars souvent d’un domaine qui n’a pas trop été exploité et je l’approfondis. Le conseil que je donnerais dans le contexte actuel où la BD touche à tous les thèmes, c’est de trouver deux idées à mélanger.
Il arrive aussi parfois qu’un éditeur nous passe des commandes. J’en ai eu quelques-unes. Le sujet est imposé et on a de la chance quand le sujet est vaste. Par exemple, je suis en train de travailler pour une collection les héros de guerre et malheureusement j’ai beaucoup de matière : les guerres il y en a tout le temps. En l’occurrence, j’ai choisi la guerre de Sécession.
Le sujet peut aussi être proposé par un dessinateur. Je travaille aussi actuellement sur un album qui met en scène Ernest Hemingway et c’est le dessinateur qui m’a soufflé l’idée.
©Emmanuelle Desseigne
Les AmBD: Comment te documentes-tu pour tes scénarios ? Quelle part de temps cela représente sur l’écriture d’une BD ? Est-ce que la recherche se fait en amont ou tout au long de l’écriture?
Philippe Charlot : Comme je l’ai un peu évoqué avant, pour moi, la documentation fait complètement partie du processus de création et c’est même la partie que je préfère. En ce moment par exemple, je suis à fond sur la paléontologie, l’homme de Néandertal, etc… J’écoute tout ce que je peux, je lis tout ce que je trouve mais sans être sûr que ça me servira pour une BD… mais pourquoi pas ? Cette partie prend des semaines ! Pour te donner un exemple, par rapport à cette BD dont je parlais sur la Guerre de Sécession j’ai choisi de parler de Johnny Clem, le plus jeune soldat Yankee, engagé à 9 ans. Je me suis beaucoup documenté pour être le plus juste historiquement. Si je perçois des zones floues, je les approfondis en me documentant. Sinon, je les contourne pour surtout ne pas écrire de bêtises ! Je fais toute ma recherche documentaire avant l’écriture du scénario. J’ai des carnets de note sur lesquels je peux revenir, mais une fois la phase d’écriture enclenchée, je ne me documente plus.
Les AmBD : Comment s’organise une journée de travail type ? Où travailles-tu?
Philippe Charlot : Honnêtement, je n’ai pas de journée type. Pour moi, ce n’est pas possible d’écrire un scénario assis à un bureau pendant 8h parce que ça demande beaucoup de concentration. En revanche, je me mets des deadlines très courtes pour avancer régulièrement. C’est un bon moyen de ne pas prendre trop de retard par rapport au délai fixé par la maison d’édition. C’est important aussi pour une bonne collaboration avec le dessinateur afin qu’il puisse avancer lui aussi de son coté à un bon rythme. On ne peut pas lui dire qu’il ne peut pas travailler parce qu’on n’a pas avancé l’écriture !
Quant à mon lieu de travail, je peux vraiment écrire n’importe où, du moment que j’ai mon ordinateur où un même juste un cahier… Je n’ai donc pas de culpabilité à voyager puisque je peux travailler en même temps. Par contre, j’ai un rituel qui m’aide beaucoup à mettre mes idées en ordre, à faire le point : c’est la marche. Quand je coince sur un scénario, que je suis dans une impasse, je vais marcher et généralement, au bout de dix minutes, j’ai résolu mon problème.
©Bamboo/Grand Angle – La chandelle du bon Roy Henri – Philippe Charlot et Eric Hübsch – 2025
Les AmBD : Quelles sont les qualités indispensables pour devenir scénariste BD ?
Philippe Charlot : La première des qualités, c’est la patience ! Entre le moment où on a l’idée d’un scénario, le moment où on se documente, le moment où on commence à écrire, le moment où on finalise l’écriture, le moment où on contacte un éditeur, où il nous répond, où il faut trouver le dessinateur, attendre que le dessinateur ait fait les essais, qu’il soit libre pour faire l’album, qu’il le dessine, que le tout soit remis à l’éditeur, que ça parte à l’imprimerie, que l’imprimerie renvoie les ouvrages, qu’ils soient transmis aux librairies et qu’on ait les premiers retours, il se passe des années ! Je ne crois pas qu’il me soit arrivé une seule fois dans ma vie d’avoir eu l’idée de scénario et la BD terminée en main dans la même année. Il faut donc aussi être têtu et obstiné. Il faut aussi avoir le goût du détail et de l’anecdote. Il faut avoir beaucoup lu, avoir le sens du dialogue et savoir choisir et peser des mots.
Les AmBD : Comment choisir le meilleur dessinateur possible pour donner vie à son scénario ?
Philippe Charlot: Il y a quelques dessinateurs avec lesquels j’aime bien travailler donc si je me dis que je vais travailler avec l’un d’entre eux, je pense à son style graphique en écrivant le scénario. Et je sais ce qu’ils aiment ou pas. J’essaye d’écrire mon scénario en collant au mieux au ton qu’ils préfèrent. Quand je n’ai pas d’idée de dessinateur en particulier, j’ai de la chance d’avoir un éditeur qui me fait des propositions. On en discute et on propose au dessinateur de faire des essais.
©Bamboo/Grand Angle – La formidable aventure des frères Flanchin – Philippe Charlot et Marko – 2025
Les AmBD : Comment se passe le travail avec le dessinateur ?
Philippe Charlot : Le mieux possible ! Sur ma quarantaine d’albums parus, les mauvaises expériences sont rares ! Quand ça coince, c’est plus des histoires de personnes que des problèmes purement professionnels. En général, je fournis un scénario au dessinateur, le même qui a été validé par l’éditeur. Dans le cas de figure où j’ai déjà choisi mon dessinateur en amont, on monte un dossier commun avec des essais de dessins en plus de mon scénario, qu’on envoie à l’éditeur.
Ensuite, je fais un découpage page par page, et pour certains dessinateurs qui préfèrent, case par case avec le dialogue correspondant, la description de l’action et parfois la psychologie des personnages. Tout dépend s’ils préfèrent être un peu libre ou au contraire avoir beaucoup de détails.
Le dessinateur propose ensuite un storyboard qu’on valide ensemble. Après, c’est l’étape du crayonné qu’on revalide ensemble la plupart du temps, mais ce n’est pas systématique, ça dépend des dessinateurs. En ensuite, bien sûr, l’encrage. Quand le crayonné a été validé ensemble, l’encrage n’est jamais un problème.
©Emmanuelle DESSEIGNE
On travaille entre passionnés et je suis bien conscient du boulot incroyable et difficile que fournissent les dessinateurs. Je sais qu’ils font tout ce qu’ils peuvent pour qu’on sorte le meilleur bouquin possible. Je pars du principe que ce que propose le dessinateur en retour à mon découpage, c’est sa meilleure vision de mon scénario.
Les AmBD : Quel est ton tout premier souvenir de BD ?
Philippe Charlot : Je crois que c’est Vol 714 pour Sydney. C’est un Tintin et ce dont je me souviens, c’est que je n’y comprenais pas grand-chose sûrement parce que j’étais trop petit… Mais ça m’impressionnait. Avec cette BD, j’avais l’impression de faire une incursion dans le monde des grands. Je ne l’ai d’ailleurs jamais relue et je ne me souviens absolument pas de l’histoire !
©Casterman – Vol 714 pour Sydney – Hergé – 1968
Les AmBD : Peux-tu nous parler un peu de tes projets en cours ?
Philippe Charlot : Comme j’en ai déjà un peu parlé, j’écris en ce moment une BD sur Johnny Clem, un jeune héros de la Guerre de Sécession, aux éditions Bamboo, avec Miras au dessin.
Chez Dargaud, j’ai un projet en cours avec Laurent Zimny autour d’Ernest Hemingway dans sa période de flottement à Keywest. Je lui ai inventé une petite aventure qui se passe à cette époque. Je dis « petite » parce qu’elle se déroule sur un laps de temps très court. Elle s’appellera Le chat à six doigts.
Avec Manu Cassier, je travaille sur une BD autour de l’enfance de Dickens quand, pendant son enfance, son père a été emprisonné pour dettes. Il va être livré à lui-même et va devoir travailler dans une manufacture afin de ramener de l’argent à sa famille. C’est au cours de cette période qu’il va découvrir tout ce qui va inspirer ses futurs romans. L’album devrait s’appeler Mudlarks.
Et enfin, peut-être, et j’adorerai parce que j’ai beaucoup aimé travailler avec Marko, il pourrait y avoir une suite aux Frères Flanchin…
Propos recueillis par : Emmanuelle DESSEIGNE
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