Entre l’écriture de deux scénarios et la préparation du salon de la BD de Dieppe, le prolifique et créatif Philippe Pelaez a gentiment accepté notre demande d’interview pour notre feuilleton de l’été. Scénariste entre autres d’Épouvantail, le coup de cœur d’août des Amis de la BD, il a pris le temps de répondre à nos questions et dévoile les dessous de son métier.
©Dargaud – Céline Levain
Les AmBD : Bonjour Philippe, merci d’avoir accepté notre demande d’interview. Quand et comment as-tu décidé de devenir scénariste de BD ?
Philippe Pelaez : En 2012 ou 2013, j’étais professeur d’anglais mais aussi de cinéma au lycée et j’animais un atelier artistique au collège. Comme je travaillais sur l’adaptation de la BD sur grand écran, j’ai fait intervenir un dessinateur réunionnais, Olivier Giraud. Il m’a proposé de lui écrire un scénario à partir d’illustrations qu’il avait réalisées. Je lis beaucoup, de BD, de romans, d’essais et j’ai toujours eu dans l’idée d’écrire un roman, pas forcément une BD. Suite à ma rencontre avec Olivier, je me suis lancé et j’ai écrit ma première BD Gaultier de Châlus qui a été éditée par l’éditeur réunionnais Des Bulles Dans l’Océan à qui nous l’avions proposée. Elle est sortie à la Réunion mais aussi en métropole, et je me suis pris au jeu. J’ai commencé à écrire un scénario, puis deux, puis trois. Je me suis lancé dans l’aventure participative avec Sandawe* et la série Oliver & Peter et Parallèle. C’est à ce moment-là, je pense, que les éditeurs qui ne lisaient pas mes récits et les jetaient directement à la poubelle ont commencé à me remarquer et ont proposé de finalement publier les scénarios qu’ils avaient refusés dans un premier temps.
À mes débuts , j’avais une sorte de syndrome de l’imposteur parce que j’étais professeur avant d’être scénariste BD et finalement, je me suis mis en disponibilité de l’éducation nationale et je suis devenu auteur à temps complet. Si je suis devenu scénariste de BD, c’est donc un peu par accident !
*le pionnier du crowdfunding pour la bande dessinée
© Des Ronds Dans l’Océan -Gaultier de Châlus T1: Loup – Philippe Pelaez et Olivier Giraud – 2015
Les AmBD : Comment te viennent tes idées de scénarios, toutes différentes les unes des autres ?
Philippe Pelaez : Joker ! Honnêtement, je ne sais pas d’où ni comment elles me viennent, j’en ai tellement ! Je dois avoir une centaine d’idées d’histoires ! J’écris souvent plusieurs scénarios en même temps, de styles différents, que ce soit de la science-fiction, de la comédie, du drame ou de l’historique.
L’inspiration peut venir de quelqu’un que j’ai croisé dans la rue, de la lecture d’un article, d’une photo. Je commence presque toujours avec un titre puis je développe une scène d’exposition qui finit sur une page impaire, à droite, afin de créer un suspense et de donner l’envie au lecteur de continuer la lecture. J’enrichis ensuite mon histoire sans vraiment savoir où je vais, je plonge dans l’inconnu. C’est ce qui explique mon écriture frénétique : j’ai moi-même envie de savoir comment vont évoluer mes histoires ! Parfois des personnages insignifiants au départ finissent par prendre pas mal de place, d’autres qui étaient importants disparaissent… Moi qui ai une formation universitaire assez cartésienne, j’improvise, je laisse libre court à mon imagination et c’est vraiment très agréable.
©Philippe Pelaez
Les AmBD: Comment te documentes-tu pour tes scénarios ? Quelle part de temps cela représente sur l’écriture d’une BD? Est-ce que la recherche se fait en amont ou tout au long de l’écriture?
Philippe Pelaez : Ça dépend du scénario. Certains me demandent beaucoup de documentation. Par exemple, je suis en train d’écrire Dollars de guerre (le 4eme volet de Pinard de guerre) et j’ai besoin de faire beaucoup de lectures, de documentations, de recherches… Pour moi, les récits les plus simples à écrire sont ceux de science-fiction puisqu’on imagine un futur qui n’existe pas. Ce n’est pas toujours le cas : avec Noir Horizon, j’ai vraiment voulu réécrire Le discours de la servitude volontaire d’Étienne de La Boétie qui date du XVIe siècle : travailler sur le totalitarisme et expliquer pourquoi des millions de gens peuvent remettre leur vie dans les mains d’un seul… Quand j’écris des BD historiques, il est essentiel de « coller » à l’Histoire surtout que certains lecteurs peuvent être des spécialistes du sujet.. Je pense notamment à Kennedy(s) qui sortira en octobre, à Puisqu’il faut des hommes qui retrace le retour d’un soldat de la Guerre d’Algérie ou encore Le Bossu de Montfaucon qui s’inspire des romans d’Alexandre Dumas. C’est d’ailleurs lui qui disait qu’on pouvait violer l’Histoire à condition de lui faire de beaux enfants ! Toute ma documentation se fait en amont, même si, au cours de l’écriture je peux faire quelques ajustements. Cette partie de recherche est, en ce qui me concerne, plus longue que la partie rédactionnelle. Je peux passer un mois à me documenter et écrire un scénario en 10 jours…
©Dominik FUSINA
Les AmBD : Comment s’organise une journée de travail type ? Où travailles-tu?
Philippe Pelaez : Je travaille partout ! (rires) J’ai uniquement besoin de mon ordinateur ou de mes carnets d’écriture. Je peux donc travailler assis, debout, couché, dans mon jardin, dans un train, dans un avion. Le vrai problème, c’est que, quand je commence à être inspiré, je suis complètement immergé dans mon histoire et je déteste être dérangé. J’écris 15h par jour mais je peux aller jusqu’à 18h, voire 20h, parce que je ne suis pas un gros dormeur. Je n’ai pas de journée type, je n’ai pas de plan d’écriture. J’écris quand j’ai envie d’écrire… mais comme j’ai tout le temps envie de le faire, je travaille tout le temps !
Les AmBD : Quelles sont les qualités indispensables pour devenir scénariste BD ?
Philippe Pelaez : Lorsque j’étais prof de cinéma, je disais à mes élèves qu’ils ne pouvaient pas envisager de tourner un court métrage ou d’écrire un scénario sans culture cinématographique. Si vous n’avez pas lu de livres, comment envisager de devenir écrivain ?
Pour être scénariste, et ce serait mon premier conseil, je pense qu’il faut avoir lu. Pour ma part, j’ai commencé à lire très jeune, j’ai baigné dans la littérature, les romans, les essais, les bandes dessinées…
L’humilité est aussi nécessaire ; on doit accepter d’accepter ses erreurs et de prendre en compte les remarques des autres. Certains ne retouchent jamais leurs scénarios. Personnellement, je suis toujours prêt à retravailler et améliorer mes récits : d’une part parce que c’est une douleur de les avoir terminés,
et c’est donc un plaisir pour moi de retrouver mes personnages, de reprendre telle ou telle scène. Les deux qualités indispensables pour moi, ce seraient la culture et l’humilité.
©Philippe Pelaez
Les AmBD : Comment choisir le meilleur dessinateur possible pour donner vie à son scénario ?
Philippe Pelaez : C’est une question de feeling. C’est important qu’il y ait une alchimie entre le dessinateur et le scénariste, que les deux soient sur la même longueur d’onde. Les éditeurs proposent généralement deux ou trois dessinateurs pour faire des essais sur un scénario. On voit très vite lequel collera le mieux, déjà par son dessin : réaliste, semi réaliste, ou encore plus crayonné.
On imagine parfois un scénario pour tel ou tel dessinateur, mais ce n’est pas facile de choisir ; n’oublions pas qu’illustrer une BD demande environ un an de travail. Mais je ne me plains pas, j’ai toujours été très content des personnes avec lesquelles j’ai travaillé.
Les AmBD : Comment se passe le travail avec le dessinateur ?
Philippe Pelaez : Je discute en amont avec lui, parce que j’ai des idées très précises sur mes personnages. Sinon, je fais confiance à son imagination et je lui laisse carte blanche.
Le dessinateur propose ensuite un storyboard qu’on valide avec l’éditeur. Mes scénarios sont très détaillés et découpés avec un nombre de cases par planches que le dessinateur est libre de respecter ou non ;
on discute ensuite du texte. Une fois le storyboard validé, on passe à la phase d’encrage puis à la mise en couleur, parfois avec un coloriste. Dans tous les cas, c’est un travail d’équipe ! On est en contact tout le temps et c’est passionnant! Moi qui suis nul en dessin (je ne sais même pas dessiner une maison !), je prends beaucoup de plaisir à voir mon scénario mis en image. C’est fantastique !
©Philippe Pelaez
Les AmBD : Peux-tu nous parler un peu de tes projets en cours ?
Philippe Pelaez : Comme je te l’ai dit, j’en ai beaucoup ! Depuis quatre ans, j’écris une dizaine de BD par an. La prochaine sortie, prévue pour le 20 août, sera La dernière Croi’ZAD. Elle raconte l’histoire d’une famille issue de la vieille noblesse désargentée, qui vit dans un manoir en très mauvais état
et qui apprend qu’une zone d’activité commerciale va être construite dans champ d’à côté. Et comme ce champ leur tient particulièrement à cœur, ils décident de faire une ZAD, mais une ZAD de bourgeois… sans succès. Impuissants, ils décident de faire appel à de vrais Zadistes pour empêcher les forces de l’ordre d’accéder au champ. C’est une BD très légère avec Gaël Séjourné au dessin avec qui j’avais écrit Les Fesses à Bardot.
© Dargaud – Intelligences – Philippe Pelaez, Hugo de Bénat et Gontran Toussaint – 2025
Le 27 août paraîtra le tome 2 de De bruit et de fureur, ma trilogie « Shakespearienne ». Le 1er tome
Shakespeare, sera donc suivi de Marlowe puis de Faust… Christopher Marlowe, poète maudit fut assassiné à 29 ans dans un bar. Même s’il n’est l’auteur que de sept pièces, Marlowe a été une source d’inspiration pour Shakespeare… et aurait peut-être même été Shakespeare puisque le mystère sur l’existence de ce dernier plane toujours…
Le 29 août, j’ai deux albums qui sortent chez Dargaud. Le 3eme tome de Six : Le serment de Gabaldon
qui devrait surprendre ceux qui suivent la série, et Intelligences, un thriller en phase avec l’actualité récente et co-écrit avec un ancien agent de la DGSI qui a souhaité garder son anonymat.
© Glénat – Kennedy(s) – Philippe Pelaez et Bernard Khattou – 2025
Le 15 octobre sortira chez Glénat Kennedy(s), un gros pavé de 550 pages en noir et blanc, dans la collection « 1001 feuilles », celle de La Bombe de Bollée et Alcante. Cet ouvrage, qui nous a pris quatre
ans de travail, relate le destin des Kennedy notamment celui de Joe Kenedy et de ses deux premiers fils, Joe Junior et John. Il est découpé en 3 parties : « Au nom du père », « Au nom des fils » et « Au nom des autres », centrée sur la présidence de JFK et son assassinat.
Les AmBD : Pour terminer, pourrais-tu nous confier ton tout premier souvenir de BD?
Philippe Pelaez : Quand je remonte à mes premiers souvenirs de livres, je ne vois pas pas de BD mais plutôt des classiques de la littérature comme Victor Hugo ou Balzac. A 6 ans, j’avais lu l’intégrale de Voltaire et de Chateaubriand. J’adore aussi Racine, je trouve que c’est du miel pour l’oreille… Mes souvenirs BD sont également des classiques. Dans les années 70, j‘ai lu Tintin, Astérix, Lucky Luke parce qu’on me les avait offerts. Je me suis vite tourné vers Thorgal, Blueberry et Michel Vaillant. Comme en littérature ou au cinéma, mes lectures BD étaient très éclectiques. Je suis un boulimique de tout et j’ai toujours envie d’explorer de nouveaux territoires. Ce qui rejoint d’ailleurs ma réponse à ta deuxième question. J’écris des choses très différentes pour sortir de ma zone de confort et de toujours me remettre en question. Je ne veux pas être catalogué et je souhaite garder un spectre d’inspiration le plus large possible.
Propos recueilli par : Emmanuelle DESSEIGNE
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