Au cœur de Malmö, une institution unique en Scandinavie est née de l’initiative de quelques passionnés pour conserver et mettre en avant la bande dessinée suédoise : Seriearkivet (ou “les archives de la bande dessinée”).
Fondées en 2003 en tant que projet mené par l’Association de la BD suédoise (Seriefrämjandet qui se charge de la promotion de la BD suédoise), ces archives à but non lucratif se sont données pour mission de documenter l’histoire de la BD suédoise et de conserver tous matériels et documents en rapport avec le 9e art en Suède.
Initialement modeste, cette initiative s’est développée et professionnalisée pour devenir, en 2023, une institution indépendante et incontournable dans le paysage culturel scandinave.
Longtemps hébergées à l’Arkivcentrum Syd (Centre de archives Sud) de Lund, Seriearkivet a trouvé en 2014 un nouveau foyer dans la ville de Malmö, dans les locaux même des archives municipales situées sur Friisgatan, à deux pas du Seriecenter (Centre de la bande dessinée).
Sous la direction de Fredrik Strömberg et Jakob Hallin, et grâce au travail d’une petite équipe d’une dizaine de personnes, Seriearkivet est aujourd’hui bien plus qu’un simple lieu de conservation : c’est devenu le sanctuaire vivant de la bande dessinée suédoise.
Fredrik Strömberg, l’un des piliers de cette aventure, nous a chaleureusement ouvert les portes de ces archives pour nous expliquer son fonctionnement.
Quelles sont les ambitions de Seriearkivet ?
Conserver
L’objectif de cette institution est de rassembler, préserver et valoriser tous les documents liés à la bande dessinée suédoise. Cependant, Seriearkivet ne se limite pas à la Suède même si c’est l’idée de base : en l’absence d’archives dédiées au 9e art en Norvège ou au Danemark, ils conservent même des éditions danoises et norvégiennes.
Les équipes se consacrent également au catalogage et à la numérisation des documents, tout en conservant la version papier qui garde toute sa valeur. Fredrik Strömberg nous a expliqué qu’il était courant dans certaines archives, qu’une fois numérisées, les originaux n’étaient pas conservés mais Seriearkivet refuse cette méthode.
S’exporter, faire connaître
Au-delà de leur mission de conservation, l’équipe de Seriearkivet s’investit activement pour faire reconnaître la bande dessinée comme un véritable art en Suède. Dans cette optique, ils enrichissent continuellement leur expertise en visitant chaque année des archives françaises pour s’inspirer et se perfectionner.
Seriearkivet vise aussi à attirer les chercheurs et les curieux : les archives sont accessibles à tous, offrant une précieuse ressource pour les étudiants, les passionnés, les amateurs et les professionnels.
Les membres de Seriearkivet sont présents à la plupart des événements en lien avec la bande dessinée suédoise comme le festival international de la BD à Stockholm, celui d’Ystad et organise des conférences et des dialogues avec le public.
Que trouve-t-on dans ces archives ?
Seriearkivet, c’est plus de 1 000 mètres d’étagères de documents, livres et originaux…
Parmi les trésors conservés, on trouve notamment :
- Plus de 30 000 dessins et esquisses originaux réalisés par plus de 100 artistes différents. Ces œuvres, toutes issues directement des auteurs et dessinateurs, incluent des contributions telles que celles de Natalia Batista, Bud Grace, Max Gustafsson, Janne Lundström ou encore Johan Wanloo.
- Des artefacts variés liés aux professionnels de la BD, qu’il s’agisse d’auteurs, de maisons d’édition, de traducteurs ou de journalistes. Parmi eux, on trouve des objets personnels uniques, comme l’ordinateur de Kell Ståhl, rédacteur en chef de la version suédoise du magazine MAD.
- Plus de 5 000 fanzines suédois.
- Environ 47 000 journaux de bande dessinée suédois, ce qui représente la part la plus importante des collections du lieu.
Seriearkivet veille à conserver deux exemplaires de chaque journal BD publié en Suède, tout en collectant les numéros contemporains. Ces journaux sont ensuite catalogués dans une base de données nommée Yggdrasil. - 15 000 à 16 000 caricatures et dessins humoristiques.
- Des versions étrangères de bandes dessinées suédoises, incluant des traductions en français et dans d’autres langues.
- La bibliothèque de Claes Reimerthi, célèbre écrivain et historien de la bande dessinée, généreusement offerte par ses filles. Cette collection occupe à elle seule tout un pan des étagères de Seriearkivet.
- Du matériel provenant d’autres organisations comme par exemple Serieskolan (école de la bande dessinée) et Dotterbolaget, un collectif féministe d’auteurs de bande dessinée.
Malgré l’espace limité de ses locaux, Seriearkivet s’attache à rester au cœur de Malmö pour garantir une accessibilité facile aux personnes désireuses d’explorer ses ressources.
L’importance des donations
Le budget manquant pour les achats, la constitution des fonds documentaires repose surtout sur les donations privées, que ce soit des donations d’inconnus, de celles de collectionneurs privés ou des créateurs de bandes dessinées eux-mêmes. Ces dons incluent des comics, des croquis, des originaux, des publications, et parfois des objets liés à la culture des bandes dessinées.
Nous pouvons citer par exemple les donations de la fille de Torvald Gahlin (dessinateur suédois connu pour ses comic strips) ou bien celle des filles de Claes Reimerthis (auteur de bande dessinée suédois, il est principalement connu pour son travail sur la version suédoise Du Fantôme).
Par curiosité, nous avons également demandé à Fredrik Strömberg de nous parler des tendances actuelles dans la BD suédoise…
On observe plusieurs tendances :
- Les bd féministes, satiriques et politiques, un genre porté par des figures comme Liv Strömquist, inspirent encore de nombreux auteurs qui publient des séries dans la même veine (on peut citer par exemple Sofia Lucas, Bim Eriksson…).
- L’essor du webtoon est également impressionnant ! Les bandes dessinées/mangas fantastiques en ligne rencontrent un très grand succès. Certaines d’entre elles sont ensuite publiées sous format papier. Un exemple marquant est Uriah de Magnolia Winroth, qui attire plus de 600 000 lecteurs chaque semaine !
- La tendance des bandes dessinées autobiographiques et réalistes persiste également. Ce genre continue de séduire, avec des auteurs comme Anneli Furmark (Walk me to the Corner, Peindre sur le rivage), Pelle Forshed (Pendant ce temps, Club Lonely) ou Mats Jönsson, ce dernier explorant ses origines sames dans ses œuvres.
Une chronique écrite par : Oda Lajoy